Après son siège Quanta, le fondateur de Jaguar Network, désormais dans le giron d’Iliad, et président d’Unitel Holding, Kevin Polizzi, lance le campus Theodora à Marseille pour nourrir le vivier de compétences dans les métiers du numérique liés aux télécommunications et datacenters tout en proposant de nouvelles solutions de construction et de mobilité sur l’agglomération.
Détaillé en février 2021, le campus Theodora, conçu pour Marseille par Kevin Polizzi et le groupement d’architectes Carta Associés et VLEG, prend forme. « Nous avons obtenu le 27 août le permis de construire, explique le cofondateur de Jaguar Network qui porte ce projet avec sa holding Unitel qu’il préside et un pool de partenaires bancaires dont CIC. Nous espérons sa mise en chantier en 2022 et son ouverture en 2024, mais nous n’allons pas chômer d’ici là ! ».
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Prévu dans le 14ème arrondissement, au nord de la ville, près de la deuxième phase du programme de restructuration urbaine Euroméditerranée, Theodora doit devenir « le campus urbain de l’innovation au service de tous les métiers et acteurs de la transformation digitale ». Les 37 000 mètres carrés de bâtiments comprendront principalement des bureaux pour des entreprises et 2 000 mètres carrés de « facilities » (business center, datacenter, amphithéâtre, coworking, restaurants…), 4 000 mètres carrés dédiés à la formation et 2 500 mètres carrés pour le logement des étudiants. Des espaces verts agrémenteront les lieux. « Nous concevons Theodora comme un îlot-démonstrateur réplicable, dans la logique d’un projet de R&D », explique Kevin Polizzi, décidé à ce qu’il reflète la vision d’un numérique 100 % transversal aux actes et fonctions du quotidien de demain. Et ce dès la construction de l’édifice…
Nouvelle façon de bâtir
« Nous allons totalement repenser la façon de construire, assure-t-il. Le BTP représente 8 % du PIB du pays et reste bon dernier du classement du niveau de digitalisation dans notre industrie ! Nous lui appliquerons les bonnes recettes du cloud et du digital pour accélérer sa transformation. L’équipe de conception de Theodora regroupe douze sociétés différentes. Je les vois comme un orchestre d’expertises (architectes, bureaux d’études, prestataires…) auquel il manque des automatismes. Toutes œuvreront sur une plateforme de maquette numérique unique de niveau BIM 3, le plus exigeant du BIM, équipé dans un cloud sécurisé dédié au projet, pour intervenir dans un même environnement logiciel, avec une traçabilité et une confidentialité garanties sur chaque phase du projet. Ce sera la première fois que nos prestataires travailleront de la sorte, ils réalisent des investissements spécifiques, en serveurs, logiciels, pour s’y conformer. C’est le sens de l’histoire. La plateforme, mise en service au mois d’août, est hébergée par Jaguar Network et est duplicable, sous une forme « multi-tenants » avec accès différents et personnalisés, pour les projets que nous déploierons sur la métropole à Istres, Aix et Aubagne. C’est un niveau de confidentialité inédit dans un secteur du BTP qui n’y est pas habitué ! ».
Techniquement, la construction, gorgée d’infrastructures et technologies numériques, reposera sur un dispositif innovant de béton et de poteaux connectés, avec des éléments de liaison aux propriétés mécaniques spécifiques, durables et pérennes. « Nous travaillons sur l’industrialisation d’un concept de fabrication que nous avons appelé « Fraktal » et qui sera en partie expérimental », glisse-t-il, soucieux de ne pas trop en dévoiler.
Parallèlement, Kevin Polizzi planche sur le contenu futur de Theodora en termes de formation. « Nous sommes convaincus qu’émerge un besoin d’ouvriers du numérique, opérateurs, contremaîtres… En 2021, nous revivons ce que les anciens ont connu avec l’industrialisation de la France. Nous industrialisons le numérique pour créer les emplois : opérateurs téléphoniques, sécurité, mobilité… 80 % de ces métiers ne nécessitent pas un bac+5, l’intelligence artificielle pouvant corriger les carences de la formation initiale ! Quand nous embauchons, nous regardons plus la compétence et la volonté que le CV ainsi que le temps que pourrait durer la relation de confiance. A Marseille, la main d’œuvre est disponible et a envie, le potentiel est assez incroyable. Marseille a des infrastructures exceptionnelles en termes de câbles internet internationaux, de numérique, mais n’a pas su créer la valeur associée sur les compétences. Il y a une prise de conscience publique, drivée par les acteurs privés. La jeune génération d’entrepreneurs s’ouvre beaucoup plus que ses prédécesseurs à des projets de bien commun qui bénéficient au territoire ».
Les uns et les autres cherchent plus à nourrir leurs complémentarités qu’à se concurrencer. « Nous voulons coconstruire les cursus, les filières, et non pas susciter une alternative ou nous substituer aux acteurs existants ». Les formations qui naîtront dans Theodora promouvront d’autres qualifications que La Plateforme. « Elle forme des développeurs sur six mois à deux ans qui vont apprendre énormément par la pratique. Nous nous orienterons sur tous les profils des télécoms, installateurs, opérateurs de datacenters… », dit-il.
A ses yeux, Marseille pourra ainsi relocaliser des centres d’appels expatriés au Maghreb. « Les clients sont plus exigeants en BtoB ou BtoC, ils refusent de se faire orienter vers des services externalisés pour obtenir une réponse. C’est une chance pour la ville, pour le pays. Notre call center est ici, ce combat n’est pas perdu d’avance ». Theodora vise aussi des qualifications supérieures. « Avec Aix-Marseille Université, nous étudions la création d’une formation d’excellence en mathématiques et physique appliquée pour aboutir, à partir de profils détectés dans l’université, à des urbanistes logiciels et datascientists de haut niveau. Les technologies vont tellement vite que nous devons toujours anticiper la couche d’après. Ces profils le permettront car nous allons vivre en cinq ans ce que le monde n’a pas connu en 100 ans ».
Combiner travail à distance et nouvelles mobilités
Theodora s’attaquera enfin aux problématiques de mobilités, paralysantes sur l’agglomération marseillaise. Pour Kevin Polizzi, la revendication d’un nouvel équilibre entre vie privée et vie professionnelle est devenue trop forte. « Le Covid a donné un rythme de vie plus en phase avec la réalité biologique, avec des mobilités d’opportunité au lieu d’être subies, du télétravail… Plus personne ne tolèrera une heure de voiture pour parcourir Aix-Marseille. Sur cette métropole multipolaire, nous voulons construire une alternative aux difficultés de mobilité où l’on demande à l’entreprise de s’adapter et plus à l’humain de s’adapter ». A Marseille, Theodora se positionnera près d’un pôle de transport (bus, métro, tramway, autoroute…) facilement accessible mais son concept va plus loin. Trois satellites, dans des bassins d’activité majeurs, Aix, Aubagne, Istres, seront déployés dans les trois ans. « Ce seront des bureaux de proximité, à moins de 30 minutes de chaque collaborateur. Ils permettront de n’utiliser les axes routiers que lorsqu’ils seront vraiment fluides avec une flotte de véhicules connectés autonomes, « Starfleet ». Nous testons déjà une trentaine de véhicules en partenariat avec BMW. Elle sera opérationnelle avant la mise en service de Theodora ».
L’antenne aixoise se situera dans la zone de la Constance, les sites d’Aubagne et Istres sont en cours de finalisation avec les collectivités concernées. Chacun sera construit sur une superficie de 6 000 mètres carrés, similaire à l’immeuble Quanta de Jaguar Network à Marseille, avec des services, des utilités comparables… « Ce seront des chantiers d’assemblage, nous sommes vraiment dans de l’IT avec du béton, Unitel brevètera les dispositifs mis en oeuvre ! ». Starfleet transportera les personnes lorsque leur présence s’imposera au siège. « Les collaborateurs ne sortiront du télétravail que si on leur offre un cadre compatible avec le long terme. Leur fidélité implique un parfait équilibre entre qualité de l’environnement de travail, de l’équipe et de la rémunération ». Pour l’ensemble des projets annoncés, Theodora et ses « antennes », Kevin Polizzi estime l’enveloppe d’investissement à 150 millions d’euros.