Tiemo Wölken, député allemand du groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, a accepté de répondre à nos questions pour mieux comprendre ce qui motive la Commission européenne à proposer deux règlements sur la régulation des services et des marchés numériques. Les deux textes “Digital Services Act” et “Digital Markets Act” seront débattus au Parlement européen pendant au moins un an avant d’être adoptés.
Alliancy. Pourquoi est-il important d’encadrer l’économie numérique en Europe ? Un événement en particulier vous a-t-il convaincu ?
Tiemo Wölken. La Commission européenne émet régulièrement des amendes contre les grandes entreprises de la Tech, suite à des enquêtes antitrust sur le temps long. Il est évident que les moyens de garantir l’équité sur le marché unique numérique sont insuffisants. Sans cadre réglementaire clair pour l’économie numérique, c’est la loi de la jungle qui perdurera avec des acteurs dominants qui s’en sortent avec des pratiques commerciales qui ne seraient pas acceptables hors ligne.
Est-ce que la crise a renforcé votre avis sur la nécessité d’une « constitution numérique européenne” ?
Tiemo Wölken. La pandémie a certainement montré la nécessité de la régulation. Ces derniers mois, la désinformation et les théories du complot sur le coronavirus ont été relayées sur les réseaux sociaux, menaçant notre liberté d’information et la manière dont on communique en société. La protection des droits fondamentaux est une partie essentielle de toute constitution. Nous devons nous assurer que le niveau de protection des droits fondamentaux soit le même en ligne que hors ligne. Et la meilleure manière d’y parvenir est grâce à une régulation efficace.
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Est-ce que le règlement européen est plus adapté que la directive pour faire front face aux Gafam ?
Tiemo Wölken. Si nous voulons assurer des règles harmonisées qui s’appliquent pour tous les États membres, alors la régulation reste le meilleur choix en termes d’instrument politique. C’est important de se rappeler que la régulation ne cherche pas à définir ce qui constitue un contenu illégal, mais seulement sur comment les plateformes doivent procéder pour le modérer. Cependant, le fait que la Commission laisse le contrôle aux autorités nationales compromet les efforts visant à élaborer des règles harmonisées. Le risque serait qu’un État membre fasse respecter les règles de manière moins stricte que les autres dans le but de se munir d’un environnement commercial plus attractif qu’ailleurs en Europe. Pour ce qui est des grandes plateformes, la proposition prévoit la possibilité d’un contrôle à l’échelle européenne, cela devrait être le cas pour toutes les plateformes.
Quels autres mécanismes sont possibles pour restreindre les activités des géants ? Un exemple que vous défendrez au Parlement les prochains mois ?
Tiemo Wölken. Un élément important pour garantir un marché unique numérique florissant, c’est de booster l’économie des données européennes. Le DSA et le DMA ne sont qu’une partie de ce projet. Dans les mois à venir, nous allons aussi travailler sur des règles pour le partage des données industrielles. Avec un cadre progressiste encourageant la génération de valeur, l’Europe peut faire grandir une économie dynamique autour de l’open data, à l’opposé du business model de la Silicon Valley, qui se base sur les monopoles de la donnée et les effets de réseau.
Concernant le Digital Markets Act – qui vise un peu plus les Big Tech companies – est-ce possible en pratique d’exiger la transparence des algorithmes ?
Tiemo Wölken. Le contrôle algorithmique est essentiel. Nous devons être en mesure de veiller à ce que les algorithmes utilisés par les plateformes ne discriminent pas – cela implique de s’assurer qu’ils ne sont pas entraînés avec des données biaisées. Ce n’est pas juste une question de DSA ou de DMA : nous avons aussi besoin de grandes exigences de transparence pour l’Intelligence Artificielle et tous ses usages affectant les citoyens européens.