Toulouse veut générer des champions

Jean-Pierre Bayol, directeur général de Digital Place, cluster numérique de la région Midi-Pyrénées, également vice-président de France IT, revient sur les fondements de la dynamique en cours dans la « ville rose ».

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Jean-Pierre Bayol, directeur général de Digital Place et vice-président de France IT.

 

Alliancy, le mag. Comment la Région accompagne-t-elle la transformation des entreprises ?

Jean-Pierre Bayol. Midi-Pyrénées est la seconde région numérique de France et la première pour l’édition de logiciels applicatifs, les équipements électriques et électroniques. Une bonne moitié de cette activité est liée à la présence historique de grands de l’aéronautique et du spatial – Airbus, Safran, Astrium, Cnes, Thales, Honeywell –, mais aussi de l’industrie des semi-conducteurs avec Motorola, Freescale et Intel. Ce secteur représente plus de 34 000 emplois, 3 600 entreprises, 2 600 chercheurs avec des laboratoires de pointe en informatique (Irit, Laas/ architecture des systèmes). Ce sont plutôt des TPE/PME : 80 % comptent moins de 10 salariés, 90 % moins de 50 salariés. S’il y a une faiblesse, ce serait celle-là : nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), comme partout en France. Il y a un problème, notamment de financement, pour arriver à faire émerger des leaders européens, voire mondiaux.

Mais vous avez du potentiel, à l’image de Sigfox…

Tout à fait. Sigfox a trouvé un positionnement très innovant. Cet exemple met un coup de projecteur sur toute la filière et sur la diversification en cours. Toulouse concentre beaucoup d’expertise au niveau des systèmes embarqués critiques dans l’aéronautique et le spatial. A mon sens, c’est unique, à part peutêtre à Munich, en Allemagne. Or, nous sommes dans un « momentum », où ces
technologies sont en train d’essaimer un peu partout dans notre vie quotidienne, dans la ville et dans l’entreprise. L’autre moitié de l’activité numérique est donc portée par des entreprises qui adaptent ces technologies à d’autres secteurs, notamment Internet. Nous parlons de pépites comme NetWave, qui exploite un algorithme prédictif pour l’e-commerce ; FittingBox, qui a créé l’essayage virtuel de lunettes et développe des cabines d’essayage virtuelles ; ou encore IntuiLab avec ses tables tactiles. Le rôle de Digital Place a été d’accompagner et d’accélérer ce mouvement.

Quel est l’origine de cette évolution ?

Toulouse a cette expertise au niveau des systèmes embarqués critiques dans l’aéronautique et le spatial. A mon sens, c’est rare, à part peut-être à Munich, en Allemagne. Or, ces compétences sont au cœur des objets connectés. Nous sommes dans un « momentum », où ces technologies sont en train d’essaimer un peu partout dans notre vie quotidienne, dans la ville, dans l’entreprise.

Vous travaillez avec Aerospace Valley pour promouvoir la filière des systèmes embarqués…

Nous voulons devenir la référence européenne de l’intelligence embarquée [Embedded Systems Market Place, Ndlr]. Sur les systèmes embarqués « canal historique », deux tiers des entreprises sont ici. Ce sont des technologies de pointe. Imaginez que la moindre erreur de pilotage sur un satellite peut coûter 300 millions d’euros ! D’un autre côté, on trouve Sigfox et tout un écosystème qui se crée autour des objets connectés. Mais on parle bien du même sujet, ce sont simplement les applications qui changent. Cette fois, il s’agit de domotique (MyFox) ou de gestion de flottes connectée (SoFleet)… Nous voulons relier ces deux univers, avec des donneurs d’ordres, des experts, en attirant de nouveaux industriels. Nous souhaitons aussi créer un grand événement à vocation internationale en 2016.

Du coup, comment voyez-vous votre rôle ?

Etre un pont entre le « canal historique » des systèmes embarqués et ce monde nouveau des objets connectés. Nous souhaitons créer l’écosystème complet, avec des donneurs d’ordres, des experts, tout en attirant les industriels. Pour donner plus de visibilité au secteur, nous envisageons un grand événement à vocation internationale en 2016.

En termes d’applications et d’infrastructures, où en êtes-vous ?

Nous avons plusieurs axes de travail. Il y a d’abord l' »usine du futur », avec ce projet emblématique conduit avec Airbus sur l’outillage industriel et que nous souhaitons généraliser dans l’industrie locale. Entre Syntec Numérique, La Mêlée, la TIC Valley et les industriels, nous allons nous réunir une fois par mois. Notre objectif est de faire de Toulouse une plateforme du « nearshore » [délocalisation proche, par opposition avec la délocalisation offshore, NDLR). Mais nous avons aussi d’autres projets dans la robotique (Robotics Place), les capteurs (Sensing Valley)…

Et en termes d’infrastructures ?

Nous sommes plutôt bien dotés. Nous avons 5-6 acteurs régionaux, dont FullSave, qui a son propre datacenter de 2 000 mètres carrés, IMS à Castres, InforSud… Il faut de la proximité car la dimension métiers devient de plus en plus importante pour designer l’offre la plus pertinente. On revient sur le sujet initial : Toulouse a le potentiel pour être un creuset de cette nouvelle révolution numérique, avec ses deux compétences fortes, l’informatiques et les métiers.

Comment évaluez-vous l’offre Cloud dans votre région ?

Nous avons lancé le premier label Cloud. Nous avons réuni les acteurs régionaux pour définir une offre capable d’établir un vrai lien de confiance avec les utilisateurs. Il y avait Cameleon Software, Eurecia, Cegedim Activ, Formi SA , FullSave, Novadys etc. Ce qui est important de comprendre c’est qu’avec le Cloud on entre dans une véritable industrialisation de l’offre informatique. D’où l’idée de ce label, qui élève le niveau de garantie pour les entreprises désireuses de consommer du cloud.

C’est un engagement qui dépasse la région…

Bien entendu, ce label n’est pas la propriété de DigitalPlace et, encore moins, une certification locale. Le but est qu’il soit connu et reconnu au niveau national. C’est la raison pour laquelle il est désormais porté par France IT, qui regroupe 14 des clusters numériques français, soit plus de 2 000 entreprises. Depuis l’annonce en février du lancement du label national, nous avons axé nos efforts sur  » l’industrialisation « . Nous travaillons avec l’Afnor pour traduire ce label en normes pratiques. Nous avons sélectionné un auditeur accrédité qui interviendra en tant que tiers de confiance dans l’attribution, ou non, des labels. Et nous avons déjà 200 entreprises qui sont entrés dans le processus de labellisation. Les premières qui l’obtiendront seront connues début 2015. A noter que ce n’est pas seulement un processus de sélection, les candidats sont accompagnés, il y a du support, des sessions de formation.

Comment avez-vous vécu l’aventure de la FrenchTech ?

Ca a été une démarche de mobilisation générale mise en place, notamment autour de la Mêlée Numérique. La Cantine Toulouse, nous (Digital Place), la TIC Valley, l’incubateur Midi-Pyrénées, tout le monde a poussé dans le même sens ! La délégation est venue rencontrer les entreprises, les clusters, les associations. A Toulouse bien sûr mais pas uniquement, ils sont allés à Castres-Mazamet (e-santé) à Tarbes (applicatif). Je dois vous dire qu’ils n’ont pas eu besoin de nous pour se rendre compte de la dynamique à l’œuvre dans la région. La délégation nous a fait un retour critique sur nos points forts et sur ce qui reste à améliorer. Notre objectif c’était de les convaincre que nous avions un projet ambitieux capable de générer des champions. Je pense qu’ils ont été convaincus.

La ville a obtenu le label French Tech comme Bordeaux d’ailleurs, que vous devriez obtenir. Comment avez-vous vécu la mise en concurrence avec Bordeaux, par ailleurs votre partenaire dans Aerospace Valley ?

La concurrence avec Bordeaux ? Il faut plutôt la voir comme une émulation. Chacun a ses atouts, Toulouse a peut-être plus de grands donneurs d’ordres, et Bordeaux, plus de diversité, avec une multitude de PME. Il faut surtout regarder ce qui nous unit. C’est le cas d’Aerospace Valley bien sûr, et pour longtemps.