Dans l’accélération de la transformation des entreprises de taille intermédiaire, un sujet revient avec régularité : leur capacité à conjuguer croissance et amélioration des services fournis à leurs clients. Des progrès importants ont été réalisés ces dernières années. Arnaud Rodde, Solutions Sales Executive, Customer workflows et Martin Béraud, Directeur commercial pour ServiceNow, nous expliquent quels sont les défis particuliers que rencontrent ces organisations, notamment dans leur activité BtoB.
Alliancy. Comment évaluez-vous la maturité des approches des ETI en matière d’expérience client ?
Arnaud Rodde : La question de la maturité est moins une question de taille, que de secteur d’activité et de typologie d’activité. Des entreprises « tech oriented » de taille intermédiaire, mettent souvent très bien le client au centre, et ce dès leur création. En échangeant avec nos clients, nous nous rendons compte également que les activités BtoC ont une certaine avance sur la transformation de la relation client. Ces entreprises ont plus de recul sur les approches « customer centric » pour maximiser les ventes additionnelles ou éviter l’attrition alors que celles qui ont un fort pan d’activité BtoB ne s’y mettent que depuis quelques années.
Il y a eu beaucoup de projets menés en matière de customer engagement, en omnicanalité. On voit la maturité souvent au niveau d’un canal d’engagement, dans la captation des demandes initiales par exemple. Mais ce n’est plus suffisant. Les ETI sont peu outillées pour passer un cap. En dehors de ce « ticketing », elles n’ont en effet souvent rien en place pour amener la contextualisation qui permettra vraiment de passer à l’étape d’une expérience client « sans couture ». L’enjeu aujourd’hui est de sortir des silos dans l’entreprise, d’avoir une vision globale et cohérente de bout en bout. En la matière, les activités BtoB sont plus complexes : il y a de nombreuses interactions entre plusieurs types d’équipes, issus de département différent dans l’organisation. Quand on arrive à mettre en place de la contextualisation et de la traçabilité, on voit alors un impact économique notable. C’est aussi un gain notable pour les équipes elles-mêmes, dans une logique de symétrie des attentions.
Martin Beraud : De nombreuses ETI ont envie d’investir dans une transformation, mais il faut que celle-ci soit vue comme ayant un impact très important. C’est un paradoxe assez évident : certaines organisations ont bien conscience d’avoir dix ou vingt ans de retard en termes d’expérience client proposée, mais elles ne veulent pas non plus se tromper et tomber dans le superficiel. Elles veulent pouvoir mesurer un gain pour le client final qui soit objectif ; c’est pour cela qu’elles mettent l’accent sur une exigence de simplicité. Or, cette réinvention est sans doute la plus exigeante, notamment en BtoB.
Les ETI ont-elles cependant des atouts que n’ont pas les autres entreprises en matière d’expérience client ?
A.R. : Dans un monde de plus en plus compétitif, quand on sait montrer au client qu’on est agile, qu’on comprend des problématiques fines, cela fait la différence entre deux sociétés. Les ETI ont en ce sens des atouts pour se différencier car elles peuvent faire valoir cette agilité organisationnelle par rapport à d’autres entreprises, plus lourdes et complexes. La complexité de leur SI est également moins importante. Elles peuvent mener des changements plus ambitieux qui peuvent contribuer plus rapidement à l’expérience client.
De nombreuses ETI exercent dans des secteurs industriels ou ont des services sur le terrain. La dimension de transformation de l’expérience client est-elle tout aussi simple pour ces activités ?
A.R. : C’est ce que l’on appelle l’amélioration du Field Service Management. Les enjeux de coûts sont très importants pour ces services. En particulier, le digital va permettre de plus en plus d’éviter de nombreux déplacements physiques. Ce qui met en perspective également des gains intéressants vis-à-vis des enjeux sociétaux, de pénibilité, d’empreinte carbone, dans les organisations. Concernant l’expérience client, l’optimisation de l’action des techniciens de proximité, quels qu’ils soient, est un moteur de ROI direct. Quand on résout une demande client en « première instance » sur le terrain, l’impact est encore plus visible que quand cette résolution a lieu à distance, depuis un centre de support. C’est une source d’avantage compétitif majeur pour les ETI : l’efficacité d’un service de dépannage, par exemple, est une part très importante de la satisfaction des clients et de l’expérience pensée de bout en bout.
M.B. : Sur certaines typologies de métier, quand l’entreprise produit des objets ou propose des services de valeurs importante, par exemple dans le secteur de la Santé, cela devient même un enjeu primordial. Et chaque optimisation est très visible pour les clients, qui y sont particulièrement attentifs. Quand nous montrons à des sociétés que les interventions sur le terrain, sont des workflows à considérer presque comme les autres pour les optimiser, cela fait souvent un déclic. La digitalisation et le traitement de bout en bout, interconnectés aux systèmes de l’entreprise, est de nature à changer profondément l’expérience en matière de Field Service Management.
Cela souligne aussi la complexité actuelle des chaînes de valeur liée à l’expérience client…
M.B. : Effectivement. On peut simplifier en disant qu’un workflow, c’est un besoin métier qui va d’un point A, une demande client, à un point B, généralement la résolution du problème… Il est donc possible d’automatiser au maximum le passage de A à B, mais pour cela il faut pouvoir avoir une vision globale sur tous les outils de l’entreprise qui vont permettre d’apporter la réponse, car celle-ci est rarement dans le même « silo » que celui d’où est originaire la demande.
C’est pour cela que des ETI industrielles, notamment, veulent concevoir des plateformes pour créer des scenarios profonds et prendre en compte des variétés importantes d’usages. L’objectif est d’avoir la bonne attribution de compétence au bon moment au bon endroit, avec une transparence de l’information, une capacité supérieure de suivi et de traçabilité des incidents par exemple. Cela va demander de créer une surcouche afin de simplifier leur legacy en termes de système d’information, pour faire le lien entre les différents silos concernés…
A.R. : Sans cette orchestration, avec une couche d’abstraction au-dessus des systèmes, le va-et-vient d’une équipe pour chercher de l’information, pour passer d’un logiciel à un autre, est aliénant. Or, le customer service management peut profiter des bonnes pratiques déjà éprouvées pour répondre à ces problèmes en matière d’IT Service Management (ITSM). A partir de là, il sera ensuite possible d’aller plus loin en injectant de l’IA, pour simplifier la vie du client. Qu’est-ce que l’on peut mettre à sa disposition pour faciliter ses démarches ? L’automatisation est très efficace sur certains sujets comme la qualification des demandes, y compris sur des canaux déstructurés par excellence comme l’e-mail, qui génèrent toujours des va-et-vient et des latences de réponse. L’IA permet d’analyser le texte, de comparer des milliers d’éléments similaires, pour ensuite identifier les points importants, orienter vers les bonnes équipes, recevoir ensuite les informations utiles issues de tickets historiques réussis, le regroupement de questions similaires, la recommandation de la « next best action »… C’est une compression des temps de traitement.
Quelles sont les principales difficultés pour une ETI qui veut améliorer son expérience client en 2023 ?
A.R. : Il faut déjà se convaincre d’agir. Une ETI en croissance, qui ne change rien dans ses processus et ses outils, va souvent voir se dégrader l’expérience client mécaniquement, du fait de la difficulté de passer à l’échelle sur chacun de ses sujets. De plus, ne pas agir dans ce contexte revient aussi à rendre plus difficile la vie de ses employés. Or, dans un contexte de marché du travail tendu, l’amélioration de l’expérience client est aussi un facteur de fidélisation des collaborateurs.
M.B. : Beaucoup de nos clients nous disent aussi que malgré toutes les solutions cloud qui sont arrivées sur le marché pour les aider, il y a des questions qui persistent. Il y a un certain agacement aujourd’hui vis-à-vis du « syndrome du pure player », avec un phénomène de multiplication des outils orientés clients, sur de nombreux sujets de spécialité. Il n’y aura pas de choc de simplification dans les ETI sans se poser la question du lien à faire entre tous ces outils cloud. L’ère de l’automatisation doit succéder à l’ère cloud, pour rationnaliser tout ce qui a été mis en place ces dernières années, dans une optique de plateformisation.
Qu’est-ce qui peut empêcher ce passage à l’action ?
M.B. : Bien souvent l’absence d’un mandat clair. Quand il n’y a pas une décision stratégique prise au niveau des directions métiers pour asseoir cette volonté. Un réflexe un peu trop français face à la difficulté, comme la dégradation de l’expérience client, c’est souvent d’être en repli sur soi, plutôt que de prendre le parti d’un mandat de transformation ambitieux.
Est-ce que les ETI peuvent suffisamment s’appuyer sur de vrais « chief experience officer » pour débloquer la situation ?
A.R. : Le customer experience manager n’est pas encore présent dans tous les secteurs. Il y a plutôt des responsables de support client, dont le périmètre est plus précis, moins transversal. Cela va être à la direction générale elle-même de se mobiliser, souvent dans les entreprises familiales, et également aux directeurs des systèmes d’information. Ces derniers sont bien plus mobilisés dans les ETI sur ces sujets d’expérience client que dans les grands groupes. Ils peuvent être à l’origine d’un travail beaucoup plus collaboratif, qui permettra éventuellement de faire émerger le rôle de customer experience manager dans certain cas. Il manque encore un peu de maturité pour avoir des CXO doté d’un mandat de transformation global.
M.B. : On accompagne plus de 200 ETI depuis plusieurs années. Notre expérience montre que la complexité d’un « workflow » contrairement à un « nombre d’utilisateurs » ne dépend pas de la taille d’une entreprise. Proposer un choc de simplification, une orchestration globale au service de l’expérience client, est encore un sujet neuf pour beaucoup d’ETI, mais on voit qu’elles sont de plus en plus convaincues. Sur ces sujets, nous avons une croissance de 40% sur nos contrats avec des ETI, avec un taux de renouvelle de 90%. C’est une preuve de leur mobilisation croissante.