Les compétences Data s’imposent de plus en plus comme indispensables parmi le socle commun des métiers. Cependant, comme toute transformation, elle ne peut négliger l’humain. L’adoption ne s’impose pas.
Software company, tech company et à présent data company… Les entreprises sont engagées dans un cycle permanent de transformation. Dans ce cadre, elles repensent leurs activités et les compétences de leurs collaborateurs.
Ainsi, la Data constitue de plus en plus un must-have, parmi les fonctions digitales, mais aussi au-delà. Les départements IT des organisations ne sont pas les seuls à devoir comprendre et maîtriser les enjeux de la data.
De l’humain de bout-en-bout
La réussite d’une transformation data passe avant tout par une adoption par les métiers. Une prise de conscience des décideurs ne suffit pas, comme des décisions top-down. En clair, l’appropriation ne se décrète pas. Pour transformer une équipe métier grâce aux données, il va falloir convaincre et donc démontrer.
Jean-François Deldon, ex-Data Leader pour Michelin et désormais consultant indépendant, en sait quelque chose. Transformer nécessite de la méthode et ainsi de cocher des étapes : démarrer, structurer et pérenniser. La première phase vise donc à “créer l’étincelle”. Et pour y parvenir, l’expert met en garde contre une approche essentiellement technologique.
“La technologie permet des mises en œuvre pertinentes pour le métier, cependant l’humain et le sens tiennent également une place majeure. La réussite de la transformation passe clairement par l’humain, de bout-en-bout. C’est à travers l’humain qu’on capte les besoins, crée le sens et qu’on embarque tout le monde.”
Sens et humain sont indissociables, poursuit-il. “Vision et stratégie consistent à mettre du sens dans la transformation (…) C’est la raison pour laquelle il convient de communiquer et de revoir régulièrement la stratégie.”
Nombre de stratégies Data dans les entreprises sont aujourd’hui impulsées par le marché et la concurrence. Une telle transformation ne peut cependant être dictée ou justifiée en interne par ce seul paramètre. De même, une décision au sommet est nécessaire, mais pas suffisante.
“Il faut que l’équipe métier s’approprie le pourquoi.” Une telle appropriation est conditionnée à une réponse à ses propres besoins, qu’il s’agisse de création de valeur ou d’amélioration des conditions de travail, voire d’impact environnemental. Place alors aux cas d’usage ? Oui, mais après un recueil terrain.
Rencontrer les utilisateurs et identifier des champions
Pour des raisons de sens et dans le but de coller au plus près au besoin, Jean-François Deldon encourage à rencontrer les utilisateurs métiers. “Cela vaut aussi pour la création d’une startup. Il n’y a pas de secret en la matière.” Intégré à l’équipe d’audit interne de Michelin, l’expert avait ainsi rencontré l’ensemble des auditeurs.
Ces entretiens sont notamment l’occasion d’évaluer le degré d’intérêt pour les sujets Data et aussi d’identifier de futurs champions comme des premiers cas d’usage et/ou problèmes à résoudre facilement. Ces quick wins participeront à créer rapidement de la confiance.
Les utilisateurs déjà sensibilisés et motivés sont “coeur dans la transformation data. D’une part, ils sont prêts à y consacrer du temps. D’autre part, ils vont pouvoir rayonner et motiver autour d’eux. Ce sont aussi d’impressionnants faiseurs”, souligne Jean-François Deldon.
Pour démontrer la valeur pour le métier, il peut être utile en outre de s’ouvrir vers l’extérieur en allant chercher de l’inspiration et des bonnes pratiques auprès d’autres organisations sur des domaines similaires.
Pour prendre, l’étincelle doit déboucher sur du concret, soit des premiers développements, qui pourront par exemple exploiter ChatGPT pour des tests sémantiques. La finalité ici est de parvenir rapidement à des prototypes afin de recueillir des feedbacks métiers et de vérifier l’adéquation aux besoins.
L’enjeu est de “créer les conditions de la confiance.” Les réalisations ne seront pas que techniques cependant. Il convient aussi d’acculturer et de former. Et les premières briques d’acculturation seront conçues pour coller au contexte de leur cible, tout comme le format employé (ateliers en présentiel, vidéos courtes, etc.).
Une vision porteuse de sens et une déclinaison sous forme d’actions
La démarche est itérative et s’accompagne d’un volet communication. Celui-ci revient d’ailleurs à toutes les étapes. L’expert et fondateur de Yakadata encourage également à impliquer la DSI dès la phase de démarrage. Cela permet de bénéficier de réalisations existantes et ainsi de capitaliser.
Le contexte favorable en place, la transformation nécessitera de structurer. Cela suppose de définir une stratégie Data, “avec une vision porteuse de sens et une déclinaison sous forme d’actions, projets ou produits Data plus concrets permettant de répondre à la stratégie métier.”
Jean-François Deldon souligne la nécessité de mobiliser le maximum de personnes, au sein de l’équipe, et en périphérie, notamment au sens des directions Data et IT. Pour les besoins de l’équipe qualité et audit interne de Michelin, une quarantaine de volontaires avaient été assemblés dans une logique pluridisciplinaire.
La structuration de la transformation passera en outre par la constitution d’une équipe dédiée, qui pourra être composée des champions identifiés précédemment. Une collaboration efficace avec l’IT s’impose aussi, en particulier pour répondre aux enjeux en termes d’industrialisation. Gare à une systématisation de l’expérimentation (PoC), qui risque de passer à côté de la valeur.
Identification des données du domaine, mesure de leur qualité, formalisation d’un premier cadre de gouvernance, communication (axée sur la valeur collective), sensibilisation et collecte de nouveaux besoins sont autant de tâches à réaliser pour installer les bases indispensables à la pérennisation. Cette dernière phase est notamment l’occasion d’élargir le périmètre de la transformation.
Chez Michelin, la démarche a ainsi été étendue sur d’autres zones géographiques en reproduisant les deux premières étapes sur les nouveaux pays. Pour Jean-François Deldon, il est préférable de s’appuyer sur des personnes “motivées” plus que sur des collaborateurs désignés par l’entreprise. “Motivation et enthousiasme sont fondamentaux”, insiste-t-il. Et si des compétences font défaut, elles pourront être acquises grâce à des formations.
L’expert rappelle par ailleurs que vision et stratégie Data doivent être actualisées, des budgets alloués et une gouvernance arrêtée. Des premières règles avaient été définies. Elles sont complétées par la création d’une instance de gouvernance dotée d’une capacité à prendre des décisions.
Dans le métier seront formés ou recrutés des business data analystes pour que la data soit au plus proche des besoins. Ces profils s’intégreront en outre aux réseaux business data existants ou en constitueront les premiers membres.
Chez Michelin, le spécialiste avait par exemple mis en place une guilde NLP regroupant les métiers de l’entreprise afin de mutualiser et de partager les bonnes pratiques dans ce domaine. “Transformer une équipe métier par la Data repose sur trois composants principaux : l’humain (…), le sens (…), et les opérations.”
“Les opérations, c’est le lien concret à la fois avec les équipes SI, data et les équipes métiers environnantes, voire avec des équipes similaires dans d’autres entreprises. C’est aussi en réalisant des opérations concrètes et en allant jusqu’à des industrialisations qui permettent de créer toute la valeur espérée qu’on parviendra à relever le challenge de transformer une équipe métier par la data”, conclut-il.