Le métavers n’existe pas encore, mais on parle déjà d’aller y travailler ! Dans la mesure où l’anticipation fait partie des qualités des DRH – et de celles des avocats – nous avons interrogé un spécialiste en droit social sur les opportunités et les risques liés à ce nouveau territoire.
Jérôme Scapoli est avocat au barreau de Paris depuis 2001 et spécialiste en droit social. Associé au sein d’Osborne Clarke Paris, il travaille sur le futur du travail, notamment en anticipant les impacts du digital sur les relations de travail, et sur le pilotage des opérations exceptionnelles complexes (transferts d’activité et externalisation, harmonisation des statuts sociaux post-fusion, licenciements collectifs) ainsi que la prévention des risques psychosociaux et prud’homaux.
Alliancy. A-t-on vraiment besoin d’aller travailler dans le métavers ? Que pourrait-il nous apporter de plus ?
Le métavers vient du monde du jeu et il est encore balbutiant dans le monde de l’entreprise. A quoi sert-il ? Quelles opportunités peut-il nous amener ? Pour quels risques ? On ne peut pas s’épargner ce débat, d’autant plus le métavers a des impacts tant sur le business que les ressources humaines.
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La toute première fonctionnalité du métavers tient du prolongement de l’existant. Il devrait nous offrir une amélioration de l’expérience que nous connaissons déjà en visioconférence. C’est donc une technologie supplémentaire (mais pas accessoire) pour organiser des réunions et travailler en commun. Nos échanges à distance vont devenir immersifs.
Le deuxième niveau est celui de la formation. Comme on le fait déjà pour les pilotes de ligne, on peut imaginer que de nombreux métiers s’apprennent demain dans le métavers, en 3D.
Enfin, le métavers pourrait devenir un lieu de travail à part entière. Aujourd’hui, cela commence par le retail. On ouvre des magasins dans le métavers : cela appelle donc des vendeurs, dédiés à cette activité. On peut aussi très bien imaginer des activités dans l’immobilier, l‘architecture ou encore le tourisme, qui se développeraient spécifiquement dans le métavers. Alors, comment distinguer l’effet de mode de la fonction pertinente ? Si l’on a quelque chose à vendre, s’intéresser au métavers semble plutôt évident. S’il s’agit « juste » d’un nouveau canal de communication, cela demande réflexion.
Dans la balance, faut-il mettre la surconsommation énergétique ?
Je travaille beaucoup sur la décarbonation des activités et, certes, le digital est consommateur d’énergie. Il est indéniable que la consommation dans le métavers sera encore plus importante. Mais je nuancerais ce risque car tous les spécialistes de la mesure de l’impact carbone désignent comme premier problème la fabrication des ordinateurs et téléphones et leur remplacement trop fréquent. Comme souvent, ce sera un jeu de vases communicants, entre métavers et réduction des déplacements et des bureaux à chauffer.
D’autres risques m’inquiètent davantage. Ils seront transposés du monde réel vers le métavers, mais demanderont des actions de prévention et des traitements différents. Notamment la protection des données personnelles et, dans un autre registre, la santé mentale, au droit à la déconnexion et au harcèlement – moral et sexuel.
[bctt tweet= »« Les risques du métavers existent déjà dans le monde réel, qu’il s’agisse de santé mentale, de harcèlement ou de cybersécurité. Le rôle du DRH est d’anticiper leur transposition et d’adapter ses actions de prévention. » » username= »Alliancy_lemag »]C’est là que le DRH joue un rôle-clef. Par où commencer ?
Le rôle premier du DRH, c’est l’accompagnement du changement. Nos clients réfléchissent déjà aux postes qu’ils vont créer dans le métavers et je ne crois pas que ce soient des « bullshit jobs ». En revanche, si vous confiez un casque à vos collaborateurs en leur disant « voilà, tu crées ton avatar et tu vas dans le métavers », vous allez droit dans le mur.
Les DRH peuvent commencer par distinguer les tâches « métaversables » de celles qui ne le sont pas. Il est possible que certains métiers, qui n’étaient pas télétravaillables, soient « métaversables ». Dans l’industrie par exemple, on verra sans doute des procédés de suivi de chaîne de production transposés dans le métavers. Cela pose de nombreuses questions : comment améliorer l’expérience collaborateur en immersion ? Quels postes ont besoin d’être remodelés ?
Vous évoquez des risques et les présentez comme des risques déjà existants, transposés dans le métavers. Cela signifie-t-il que le métavers ne présente pas de risques « natifs » ?
En effet, je ne crois pas qu’il y ait de nouveaux risques. On n’a pas attendu le métavers pour discuter de la frontière entre vie privée et vie professionnelle, du droit à la déconnexion. On ne l’a pas attendu non plus pour connaître des cyberattaques. Même chose pour le harcèlement. Là encore, le DRH a un grand rôle à jouer en matière de prévention et de protection des salariés. En France, l’employeur a une obligation de moyens renforcée – presque une obligation de résultats – en matière d’intégrité physique et morale de ses collaborateurs.
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Cela veut-il dire que l’avatar du salarié pourrait être protégé par la loi, au même titre que le salarié lui-même ?
La question ne s’est pas encore posée devant les tribunaux et il n’existe pas non plus, à ce jour, de réglementation autour de l’avatar. Il faut rappeler que notre droit romain s’articule autour de la notion de « sujet de droit » : il s’agit soit de la personne morale, soit de la personne physique. Deux catégories seulement. Même si le droit animal est à l’étude, un animal est aujourd’hui considéré au sens juridique comme un meuble.
Je n’ai pas de boule de cristal, mais je vois difficilement le législateur faire de l’avatar un troisième « sujet de droit ». L’avatar est le prolongement de la personne physique.
En conséquence, celui qui harcèle l’avatar de M. Durand s’expose à être attaqué par M. Durand. Et on ne va pas licencier un avatar, mais bien une personne physique. L’avatar n’a pas de contrat de travail.
Autre exemple : une enseigne de la grande distribution a acheté un terrain dans le métavers. Demain, s’il ouvre un magasin, ses clients se trouveront chez lui. Il engage donc sa responsabilité en tant que personne morale. Une foule de questions se pose autour de la surveillance des comportements dans le métavers. Dans le monde physique, ce contrôle est déjà limité et encadré par la loi. Qu’en sera-t-il dans le métavers ? C’est à nous de le décider et de le construire, par une réflexion collective.