[Billet d’humeur] Le champion autoproclamé de la liberté d’expression, Donald Trump, a décidé de couper brutalement les vivres aux médias publics Voice of America et Radio Free Europe/Radio Liberty. Une annonce inquiétante qui ne se contente pas de priver des millions d’auditeurs d’une voix alternative mais offre sciemment un boulevard à la désinformation propagée par les régimes autoritaires.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces médias ont constitué un pilier essentiel du soft-power américain, portant avec courage les idéaux démocratiques jusque dans les territoires les plus réfractaires aux libertés individuelles. Leur capacité à contourner la censure pour informer 420 millions de citoyens à travers une centaine de pays dérange profondément Pékin, Moscou ou Téhéran, qui n’ont pas tardé à afficher leur satisfaction face à cette mise en sourdine. Pour la Russie, ces radios étaient devenues gênantes, particulièrement depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022. Pour la Chine, VOA était accusée d’être une « usine à mensonges », précisément parce qu’elle éclairait d’un jour cru les abus commis contre les Ouïghours ou la situation en mer de Chine méridionale.
En brisant la vitrine du soft-power, Trump s’attaque pourtant à ce qui a fortement contribué à l’américanisation d’une grande partie du globe que ce soit dans l’adoption de leurs technologies ou la mise en avant de leurs universités et centres de recherche pour attirer les talents du monde entier. Tout cela renforçant davantage l’hégémonie technologique des États-Unis qui ont réussi, in fine, à imposer leurs innovations comme références globales, modelant les habitudes numériques de milliards de personnes.
Mais la décision de Trump n’a rien d’un accident. Elle s’inscrit dans une démarche cohérente portée par son entourage idéologique, notamment le cercle ultra-conservateur Heritage Foundation (à l’origine du projet radical « Project 2025 ») qui convoquait, cette semaine, une réunion à Washington DC pour examiner des propositions visant, tout simplement, à démolir l’Union européenne. Selon cette vision du pouvoir, toute voix critique devient une menace directe à l’autorité présidentielle, à éradiquer sans hésitation. Ainsi, sous prétexte d’éliminer des médias jugés « gauchistes radicaux » ou « wokistes », Trump démantèle ici un outil précieux d’information indépendante qui gênait les autocrates et servait de référence crédible face aux Sputnik, RT ou Global Times, relais patentés des discours officiels russe et chinois.
Les conséquences sont désastreuses : dans un contexte global de recul démocratique, supprimer ces voix critiques ne signifie pas seulement affaiblir la diplomatie américaine. Cela revient aussi à abandonner sciemment des centaines de millions d’auditeurs aux griffes d’une propagande autoritaire parfaitement orchestrée.
Trump fait ainsi bien davantage que museler des médias : il redessine cyniquement les contours d’un monde où la liberté d’expression, loin d’être une valeur fondamentale à protéger, devient une monnaie d’échange stratégique offerte en sacrifice aux autocrates. Une manœuvre consciente, dangereuse et en rupture totale avec les valeurs démocratiques du pays de Lincoln.