Le salon international de l’aéronautique et de l’espace, se tient actuellement au Bourget. Au milieu des annonces de commandes et des vols de présentation, le sujet de « l’industrie du futur » apparait en filigrane des échanges, dans la lignée des annonces de François Hollande et Emmanuel Macron il y a peu. Le groupe Elcimaï, qui regroupe un pôle ingénierie et un pôle informatique, explique à cette occasion la complémentarité de ces métiers pour accélérer la transformation numérique des industriels. Rencontre avec Christophe Chauvet, directeur du développement d’Elcimaï Réalisations et Bruno Kientzel, adjoint au directeur des opérations pour le système d’information d’Elcimaï Informatique.
Au Bourget vous présentez « l’expertise globale » des métiers d’Elcimaï pour répondre aux enjeux industriels du futur. Quel message souhaitez-vous faire passer ?
Christophe Chauvet : Fort de notre savoir-faire de 20 ans, nous voulons montrer aux visiteurs du Bourget l’intérêt d’une vision à 360°, tant numérique qu’en termes de gestion des processus de production, de l’organisation industrielle ou encore de la supply chain.
Bruno Kientzel : Dans notre vision, l’usine « nouvelle » doit être ouverte et intégrer l’ensemble des acteurs, notamment les sous-traitants. Le secteur automobile est en ce sens un modèle intéressant. L’automatisation, la numérisation, la robotisation, ne sont pas des sujets nouveaux, mais il s’agit de montrer comment ils peuvent être intégrés dans cette optique, l’informatique de gestion permettant l’accès aux données et aux informations qui faciliteront et fluidifieront ces pratiques.
« L’usine du futur » n’est pas un sujet nouveau. Comment le situer en 2015 ?
Christophe Chauvet : Il n’est pas question d’un sujet unique, mais il devient évident que l’usine du futur sera adaptable, flexible et modulable, en dépassant de nombreuses contraintes. La partie immobilière que nous connaissons bien chez Elcimaï Réalisations, est par nature très figée – ce qui créé un grand écart avec l’évolution numérique, libre et instantanée. Comment permettre à des groupes industriels de réconcilier les deux ? La question n’est pas seulement technologique, elle est aussi culturelle et organisationnelle.
Le plan de l’Etat sur l’Industrie du Futur, qui fait de l’usine une composante d’un ensemble plus large, est assez bien tourné en la matière. Au-delà des 10 axes retenus à partir des 34 plans gouvernementaux de la Nouvelle France Industrielle, on voit bien que le cœur du sujet est la large diffusion du numérique à tous les niveaux. Celle-ci provoque notamment des changements rapides de modèles économiques, où la notion d’usage remplace par exemple celle de propriété. On l’a vu pour les particuliers, mais du côté des industriels, cette logique est aussi largement reconnue : ce ne sont plus des moteurs qui sont vendus, mais des heures de vol. Avec des conséquences en cascade, par exemple sur l’approche que l’industriel peut avoir de la maintenance.
Sur les nombreuses technologies qui permettent ces changements, certaines sont pourtant loin d’être nouvelles…
Bruno Kientzel : Certains sujets ont vraiment changé la donne ces dernières années. L’impression 3D à des fins de production à toujours plus grande échelle, en est un. De même, on n’imagine plus en 2015 fabriquer un objet ou une pièce sans penser à les connecter, ce qui offre de nouvelles opportunités en termes de traçabilité, de maintenance, d’instantanéité de l’information… A cela, il faut ajouter l’omniprésence du cloud, qui permet de rendre accessible l’information de n’importe où. Les grandes organisations industrielles peuvent ainsi se concentrer sur le contrôle de la production en mode délocalisé, plutôt que d’avoir à le faire directement sur les sites. La maitrise des processus devient indépendante des lieux où ils se trouvent.
Par ailleurs, beaucoup de technologies – bien que connues – attendent encore d’être mises en œuvre. Il en va ainsi de l’informatique de gestion : il n’y a rien à réinventer, mais beaucoup d’entreprises n’en sont qu’aux prémices d’une vraie traduction opérationnelle. Idem pour les outils de prévision et de planifications, qui sont au point mais restent assez peu déployés. Enfin, la RFID existe depuis des années. Sauf qu’aujourd’hui, elle coûte beaucoup moins cher qu’au temps des premières expérimentations. Cela change totalement les usages possibles et la capacité à connecter des pièces, qui ne l’auraient pas été pour des raisons purement économiques auparavant.
Quelle place pour l’humain dans cette usine en transformation ?
Bruno Kientzel : On entend souvent le terme « déshumanisation ». C’est un peu fort, mais il y a un vrai débat qui tient finalement entre l’usage fait de la robotique : remplace-t-elle entièrement l’homme ou se place-t-elle à son service (cobotique) ? Il n’y a pas de réponse simple à donner. Selon les moyens que les entreprises seront prêtes à mettre, nous aboutirons à des degrés de perfectionnement qui permettront à l’homme de faire son travail sans trop de contrainte et avec une précision accrue, une vision plutôt française, ou d’aller plus loin et se passer d’humains, comme l’imaginent des entreprises allemandes. Les deux modèles coexisteront, notamment car les rapports en termes d’investissement, de ROI, d’efforts de R&D, ne seront pas du tout les mêmes !
L’usine du futur concerne-t-elle uniquement les grands acteurs aux moyens importants ?
Christophe Chauvet : Les grands acteurs vont réaliser des investissements importants et vont donc tirer le déploiement des solutions les plus modernes. Une fois ces efforts de R&D amortis, comme toujours, ces opportunités deviendront beaucoup plus accessibles à des entreprises de taille plus modeste. Les grands vont entrainer avec eux les plus petits. De manière générale, n’oublions pas que l’organisation du travail moderne se fait de plus en plus autour du « co- ». La transformation de l’usine va passer par là également. De nouvelles formes de collaboration et d’ouverture sont à développer.
Qu’est-ce que cela change pour vos métiers ?
Christophe Chauvet : Pour Elcimaï, cela signifie ne plus travailler sur des « espaces tertiaires » (les bureaux connectés à l’usine) fermés. Il n’est pas tant question d’une culture « open-space », que de mutualisation et de partage des locaux, entre les salariés, voir les entreprises. Nous travaillons sur ces nouveaux types d’espace qui changent la dimension, la configuration, de l’entreprise industrielle. Les principales conséquences sont un besoin d’espace beaucoup plus faible, mais aussi plus d’économies et de durabilité. Les interactions évoluent. Les bureaux de recherche sont de plus en plus connectés aux plateaux techniques de production. Ce lien plus fort permet de lancer des pilotes plus rapidement, avec des interventions plus interactives, plus agiles sur la chaine de production.
Il ne faut pas oublier non plus les start-up dans cette dynamique ! L’Ecole des Mines a vu deux jeunes ingénieurs mettre au point un siège ultraléger pour l’aéronautique. A peine une dizaine de personnes ont été nécessaire pour lancer ce nouveau produit, qualifié et certifié, sur le marché. Les outils numériques, devenus très accessibles, ouvrent les portes à de telles innovations qui peuvent bouleverser les habitudes des grands groupes. Nous travaillons donc également sur des concepts immobiliers qui permettent d’adresser ces nouveaux écosystèmes intégrant les start-up ou encore les fablabs. La Snecma a par exemple ouvert un laboratoire sur son site de Villaroche, dédié à la création de nouveau business models autour de la maintenance. Dans ce laboratoire ouvert à tous les salariés, se confrontent les idées – parfois de manière très ludique – qui permettront à de tels acteurs d’adapter leurs modèles de demain, à condition évidemment de savoir accompagner le changement vis-à-vis de leurs collaborateurs.
Quels exemples vous permettent de démontrer cette vision et l’intérêt de cumuler expertises immobilières et informatiques comme vous le faites ?
Christophe Chauvet : Nous mettons en avant l’usine de Turbomeca, sur le site de Buchelay. Flexible et modulaire, elle intègre également de nombreuses possibilités d’évolution et d’extension. Cette « usine d’excellence » a vu le groupe Safran réunir sur ce site une grande partie des savoir-faire autour de la fabrication des turbines. L’usine accueille des compétences propres à Safran mais également, à la demande, celles de sous-traitants spécialistes du sujet, dans une approche ouverte.
Nous présentons également l’unité industrielle de Commercy (inaugurée par le président de la République en décembre dernier, ndlr), dédié à la fabrication de pièces en matériau composite pour moteurs d’avions de nouvelle génération. C’est une première européenne, la seule autre usine existante comparable étant basée aux Etats-Unis. Cet exemple montre l’intérêt de la mutualisation, puisque le site relève d’un accord de mutualisation entre groupes européen (Safran) et américain (Albany). Ce qui pose la question de la coopération, de l’organisation concrète d’une telle structure. Les productions s’enchainent, se croisent… l’organisation industrielle a été au cœur des enjeux. De même, il a été prévu cette fois-ci encore de permettre l’évolution du bâtiment lui-même dans des optiques d’adaptabilité aux changements de processus de production complexes. Ces évolutions ont déjà commencé à avoir lieu pendant la construction de l’usine elle-même ! Le projet a été réalisé en 18 mois et pendant cette période, les équipes de recherche françaises et américaines ont fait évoluer les processus en continu. La configuration même du bâtiment a donc dû pouvoir supporter avec souplesse ces changements permanents. A terme, l’usine doit se voir ajouter des « satellites » supplémentaires sans que les coûts ou la complexité de mise en œuvre soient rédhibitoires.
Est-ce au final l’image de l’usine qui change ?
Bruno Kientzel : Les usines vont clairement devenir de moins en moins polluantes, elles seront également de plus en plus propres. Il y a de forte chance cependant que les usines restent loin des villes, car c’est avant tout une question de coût du m² et de place disponible ! Mais l’usine nouvelle génération va aussi permettre de lutter contre la délocalisation. En effet, en générant des économies importantes, grâce à des capacités de production améliorée, les besoins seront différents. Par ailleurs, la place de l’humain, comme ouvrier manuel, va mécaniquement diminuer, ce qui changera non seulement l’image « traditionnelle » de l’usine mais enlèvera beaucoup de sens aux délocalisations, en faisant de l’usine un territoire de compétences de haut vol… Une telle inflexion peut au contraire permettre d’enclencher un élan de relocalisation.
Retrouvez le dossier « Usine du futur » dans Alliancy, le mag n°13