Alliancy s’est entretenu avec la députée LREM de la Loire Valéria Faure-Muntian, à la suite de son intervention dans une table-ronde sur les compétences numériques de la Paris Cyber Week du 8 et 9 juin derniers. L’occasion pour l’élue de partager ses différentes convictions et travaux sur la question de la souveraineté numérique des collectivités territoriales.
Alliancy. Pouvez-vous me décrire les différentes casquettes professionnelles à votre actif ?
Valéria Faure-Muntian. Je suis députée de la Loire (LREM) depuis quatre ans et membre de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale. Avant cela, j’occupais le poste de vice-présidente de la Commission des Affaires économiques et je m’intéressais beaucoup à la digitalisation de l’économie notamment en prenant part au rapport de Cédric Villani sur l’intelligence artificielle.
J’ai également présidé le groupe d’études Assurances et le groupe d’amitié France-Ukraine. Enfin, j’ai été co-rapporteure de la mission d’information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ». Et sur ce point, le fait que les monopoles des gatekepeers empêchent la pénétration d’acteurs nouveaux est une réelle problématique.
Quel est le lien entre tous ces rôles ?
Valéria Faure-Muntian. Le fil rouge commun à toutes mes fonctions se trouve dans la question de la souveraineté et de l’intelligence économique au sens large. Toutes mes missions convergent donc vers un objectif de souveraineté et de résilience des entreprises françaises. Un projet impossible si les données géographiques ne sont pas souveraines et si le droit à la concurrence économique n’est pas assuré.
Le numérique est ici transversal et revient souvent. Il ne permet pas seulement d’augmenter la productivité et peut avoir des effets d’envergure : il peut être source de disruption des marchés, il peut reconfigurer les métiers et aider à achever de grandes transformations de notre société comme la transition écologique.
Les compétences numériques sont-elles l’avenir des formations ? Pourquoi ne peut-on pas s’en passer ?
Valéria Faure-Muntian. Je ne vois pas quel métier peut encore échapper à la digitalisation. Même si sa présence est indirecte – autrement dit sans remplacement de l’humain dans sa tâche – le numérique peut grandement aider à la décision. Un plombier fait par exemple appel aujourd’hui aux capteurs d’une maison connectée pour formuler un diagnostic. L’apport de la technologie semble aussi évident quant au port de charges lourdes… Reste à prévoir un accompagnement psychologique au travail pour éviter les phénomènes d’isolement que peuvent causer le digital.
Six mois après avoir consacré 250 millions d’euros de son budget “France Relance” à la lutte contre l’illectronisme, le Gouvernement a annoncé 45 millions d’euros supplémentaires pour les formations aux métiers du numérique. L’enjeu est de pallier la carence de compétences numériques sur le marché du travail en mobilisant les écosystèmes territoriaux. Est-ce que vous inscrivez votre action dans cette démarche ?
Valéria Faure-Muntian. Il ne faut pas oublier la séparation des pouvoirs. Les parlementaires n’ont aucun pouvoir d’action sur les territoires et ce n’est pas à eux qu’incombent la mise en œuvre de services déconcentrés. Si un président de région choisit de ne pas prévoir un vrai budget pour les formations, il met en péril l’apprentissage du digital pour ses citoyens. Un décret du 6 mai dernier a d’ailleurs mis en place les chèques France Num pour accélérer la transformation digitale des TPE et PME françaises. Mais nous avons besoin de plus d’intermédiaires associatifs sur les territoires pour y parvenir.
Prenez par exemple, Laurent Wauquiez (Président du conseil régional d’Auvergne Rhône Alpes) qui a supprimé un grand nombre de formations de reconversion professionnelle. On se heurte ici à la libre administration des collectivités et en l’occurrence à la non-application de l’accompagnement dans les formations numériques.
Face à ces refus de contractualiser les formations professionnelles et d’y accorder un budget, le ministère de l’Education nationale est passé directement par Pôle Emploi. Nous avons d’autres moyens d’agir mais cela crée des disparités et de la concurrence entre les régions.
Je suis convaincue que nous n’arriverons pas à pallier la carence de compétences numériques sans volonté politique des territoires. Les initiatives individuelles sont importantes, mais elles restent encore mal accompagnées pour passer le gap industriel. Former 30 jeunes par an ne réglera pas la pénurie de talents dans le numérique, il faut donc mettre un accent massif sur la mise en réseau de ces initiatives.
Il faut rappeler qu’il est parfois difficile pour les collectivités de conserver leurs talents face à l’attractivité des grandes villes…
Valéria Faure-Muntian. Si nous formions en masse, il y aurait plus de talents et donc le problème de concurrence aux salaires serait moins fort. Il y a aussi un enjeu de former au patriotisme et s’interroger sur les filières stratégiques au niveau local. Une région accompagne aujourd’hui un enfant gratuitement jusqu’au lycée mais perd ensuite le fil. Pour renforcer l’attractivité des territoires il faut investir davantage dans les infrastructures numériques pour chaque tranche d’âge et favoriser le développement des écosystèmes de start-up.
Enfin, il y a aussi le besoin de faire perdurer le télétravail car cela permettrait de déconcentrer un peu plus l’activité économique et de convaincre les talents de ne pas partir vers les grandes villes comme Paris. Le management à l’ancienne est ridicule et si nous réduisions nos locaux professionnels, cela permettrait par la même occasion de réduire l’artificialisation des sols. Une entreprise de 50 salariés a aujourd’hui besoin de 50 bureaux. Mais si elle décidait de faire venir ses salariés une fois sur deux en présentiel, cela permettrait, en plus du gain écologique, de faire une économie franche non négligeable.
Quels conseils donneriez-vous aux collectivités pour s’imposer dans cette concurrence sur l’attraction des talents ?
Valéria Faure-Muntian. Il faut déjà en finir avec la vision traditionnelle de la formation : ce n’est plus cantonné au fait d’y entrer à 17 ans et d’y rester toute sa vie ! Ce modèle est dépassé et les carrières de nos jours ne sont plus linéaires et les compétences évoluent constamment. Pour mieux fidéliser les talents il faut donc accompagner le mouvement vers ces nouvelles compétences.
Les collectivités doivent plus se vendre pour être attractives. Il faut passer à une autre étape de la décentralisation en recourant notamment à du marketing territorial, à l’image par exemple de la Silicon Valley, qui fait beaucoup rêver alors que peu de Français ne savent réellement ce qu’elle représente.
Chacun doit prendre son destin en main pour s’imposer dans la compétition entre régions voisines et frontalières. Quand nous parviendrons à éclater les monopoles – notamment sur le secteur numérique – la compétition entre régions, départements et métropoles deviendra saine et boostera l’innovation au bénéfice des citoyens en termes de qualité et de coût des formations.
Comment se différencier face aux géants technologiques ?
Valéria Faure-Muntian. D’une part, il faut arrêter de tomber dans le panneau des discours faisant croire que telle solution ou infrastructure est indispensable car cela crée des situations de dépendance technologique. C’est le cas des offres cloud par exemple et il est tout à fait entendable que des PME ne veulent pas faire appel à une vingtaine de prestataires. Elles se tournent vers les géants pour obtenir une offre unifiée.
D’autre part, la différenciation est importante car si les entreprises sont toutes rangées derrière une même technologie, c’est forcément celle qui propose le meilleur service qui gagne. Il faut donc se différencier mais il est vrai que cela dépend aussi grandement de la part d’investissement consacré à l’innovation et donc de la volonté politique des élus du territoire.
L’autre conseil serait d’arrêter de vouloir tout segmenter et appréhender le monde d’aujourd’hui en 360° car les transformations digitales en cours sont majeures et transversales. La question pourrait se poser différemment s’ il était question de se différencier sur le verdissement de nos territoires par exemple. L’écologie fait moins l’objet de séparatisme alors que le débat sur le digital tend à s’hystériser.
Depuis l’irruption de la crise sanitaire, les Gafam ont justement enclenché une course à la digitalisation des commerces en France… Y voyez-vous une démarche sincère d’aide aux petits commerces à survivre ou un risque d’amoindrissement de notre souveraineté ?
Valéria Faure-Muntian. Il est clair que les PME et ETI ont depuis la crise exprimé leur besoin d’accompagnement vers le numérique. Les Gafam se sont rapprochés d’elles et n’ont pas eu peur de dire qu’ils étaient compétents alors même qu’ils ne connaissaient pas du tout les réalités auxquelles se confrontent ces acteurs de terrain.
Ils apprennent vite et s’alignent mais au début, ce n’est surtout que du marketing. Une fois que c’est fait, le risque de verrouillage technologique est d’autant plus marqué. Parfois, le choix est limité et aucun offreur français n’a les compétences nécessaires pour rivaliser avec les Gafam. Mais quand ces mêmes géants sont invités à la table des négociations, notamment sur les projets de cloud souverain européen (Gaia-X), c’est incompréhensible.
Bien sûr, ces derniers représentent beaucoup d’emplois et boostent l’innovation, mais en même temps, ils aspirent aussi nos compétences et ne payent pas assez d’impôts en retour. Quand nous parlons de souveraineté, il est question d’une vraie maîtrise de nos données et de notre technologie. Ce n’est pas non plus le repli sur soi car il existera toujours des choses que nous ne pouvons pas faire nous-même.