À l’horizon 2020, il sera possible de se laisser conduire par sa voiture et de lui parler comme à un être humain. Face à cette révolution technologique, l’industrie automobile fait de la résistance pour ne pas laisser la voiture du futur aux mains des Gafa.
Le Consumer Electronics Show de Las Vegas devrait s’appeler le Car Electronics Show ! Cette boutade, lancée par la presse américaine, résume bien l’omniprésence de l’automobile au dernier salon international de l’électronique grand public de Las Vegas en janvier. Chrysler, Ford, Toyota, BMW ou Audi y présentaient des prototypes de voitures autonomes, dont la commercialisation est attendue à l’horizon 2020. D’autres en profitaient pour annoncer des partenariats stratégiques… Renault-Nissan a, par exemple, dévoilé l’intégration de Cortana, l’assistant personnel intelligent de Microsoft, dans de futurs véhicules.
Cet événement a surtout démontré que les constructeurs historiques devaient s’allier avec des acteurs de l’IT pour développer la voiture autonome. Une collaboration pas si simple à mettre en place. Chacun cherchant à tirer son épingle du jeu. Là, il convient d’appréhender le fonctionnement d’une voiture autonome. En plaçant l’intelligence artificielle (IA) au coeur du système, la valeur du véhicule ne réside plus dans la mécanique ou l’électronique, mais bien dans l’informatique embarquée, les plateformes cloud associées, les systèmes de communication et les services numériques connexes.
De la perception de l’environnement à la prise de décision
Comme un humain, l’IA d’un véhicule commence par analyser son environnement en catégorisant les éléments qui le composent (véhicule, piéton, chaussée, signalisation, etc.). Pour cela, elle utilise généralement des caméras, des radars et des LiDAR, capteurs exploitant la technologie laser pour réaliser un nuage de points de l’environnement. « C’est la fusion de l’ensemble de ces données, pouvant être redondantes qui permet à l’IA de percevoir son environnement avec précision et robustesse », explique Fabien Moutarde, professeur au centre de robotique de Mines ParisTech.
Une fois l’environnement représenté, l’IA va devoir décider des manoeuvres à exécuter. « Chez nous, l’IA émet une multitude de désirs par exemple : « La voie d’à côté est plus rapide, donc je souhaite aller dessus », ou encore « il y a une voiture proche sur la voie de gauche, donc il ne faut pas aller dessus ». Elle va ensuite résoudre les éventuels conflits entre ces différents désirs et trouver le meilleur compromis entre le suivi d’itinéraire, les contraintes du code de la route et le confort des passagers », confie William Ledoux, chercheur au laboratoire Spir Ops, qui travaille notamment pour le groupe PSA. Toutes ces opérations sont réalisées en local sur l’informatique embarquée du véhicule. Mais l’apprentissage de la conduite par l’IA a été réalisé en amont dans le cloud, en analysant de grandes quantités de données de circulation grâce à du machine learning.
L’informatique étant donc au coeur du véhicule autonome, les grands acteurs de l’IT se sont rapidement
positionnés sur le créneau. Google a lancé sa Google Car dès 2010. Renommé Waymo en 2016, ce projet exploite déjà une soixantaine de prototypes qui ont parcouru plus de 3 millions de kilomètres aux États- Unis. « Google a bousculé le marché et accéléré tous les projets en cours, souligne Sébastien Amichi, senior partner pour le cabinet de conseil Roland Berger. Il a fait réagir l’industrie automobile, qui a peur de perdre la relation directe avec ses clients au profit d’acteurs IT comme Google. »
Selon le consultant, les constructeurs craignent de devenir de simples fournisseurs de matériels pour ces acteurs IT qui maîtriseront la technologie du véhicule autonome, mais surtout l’off re de services associés. La firme de Mountain View n’envisage pas de fabriquer elle-même des voitures, mais de fournir des briques de technologies à l’industrie automobile. C’est pourquoi elle a, par exemple, signé en 2016 un partenariat avec Fiat Chrysler (FCA) qui fabriquera des véhicules autonomes intégrant les capteurs et l’IA de Waymo.
En février, Uber a signé un accord avec Daimler (Mercedes-Benz) pour la construction en exclusivité de ses véhicules autonomes.
Parallèlement, Google devrait aussi intégrer le véhicule autonome dans son écosystème de services et proposer notamment des solutions d’information, de navigation ou de divertissement à bord. « Il pourrait prolonger son modèle publicitaire sur le nouveau support que représente la voiture autonome, en exploitant les données utilisateurs afin de leur proposer des services personnalisés en mobilité », indique Clément Lambrinos, consultant pour le cabinet Polyconseil. Enfin, Google développe des systèmes de gestion de flottes de véhicules autonomes. Se passer de conducteur ouvre de nombreuses perspectives en matière de « véhicule serviciel », ce mode de transport partagé où les utilisateurs ne possèdent pas le véhicule, mais l’utilisent en libre-service. Cette « voiture servicielle » est également au coeur du projet de véhicules autonomes d’Uber. « Le taxi autonome pourrait permettre à la firme de développer un service proche du transport public avec un tarif très bas puisqu’il retire le coût du chauffeur », poursuit Sébastien Amichi. Des prototypes de robots taxis Uber sont testés à Pittsburgh depuis fin 2016. En février dernier, l’entreprise californienne a aussi signé un accord exclusif avec Daimler (Mercedes- Benz) pour la construction de ses véhicules autonomes.
Tesla, l’outsider
Depuis 2015, Tesla propose la fonction « pilote automatique » sur ses berlines électriques, les rendant ainsi « semi-autonomes ». Il s’agit, pour l’instant, d’un « dispositif d’aide à la conduite », insiste le constructeur californien. Concrètement, le véhicule est capable de rester dans sa ligne sur une autoroute (maintien de cap) en adaptant sa vitesse et la distance le séparant des autres véhicules (régulateur de vitesse dynamique). Mais une Tesla peut également doubler grâce au changement automatique de voie. C’est sur ce dernier point que l’offre d’Elon Musk possède une longueur d’avance sur les autres, dont certains proposent également le maintien de cap et le régulateur dynamique.
Construire des voitures autonomes n’est toutefois pas le coeur stratégique de Tesla ! « Nous voulons développer la meilleure voiture du monde. Elle est donc électrique parce que l’accélération est plus puissante. Et elle sera autonome afin de renforcer la sécurité du véhicule », indique-t-on chez Tesla
France. Autre spécificité, le constructeur automobile de la Silicon Valley développe son système Autopilot en interne. « Dès notre création en 2003, nous avons été une entreprise IT et un constructeur automobile. Nous avons donc les capacités de développer le hardware comme le software », acte-t-on chez Tesla France.
Le cloud et l’assistance d’Amazon et Microsoft
Outre la conduite robotisée, parler avec son véhicule est l’autre facette de l’IA en automobile. C’est un créneau sur lequel se positionnent notamment Amazon et Microsoft, proposant chacun l’intégration de leur assistant virtuel intelligent dans le système d’information du véhicule. Lors du CES 2017, Ford a ainsi annoncé l’intégration d’Amazon Alexa dans de prochains véhicules. De son côté, Microsoft et
Renault-Nissan ont signé un partenariat autour de l’intégration de Cortana…
Outre recevoir des ordres vocaux (écrire un message, lancer une playlist, l’IA possède des fonctions prédictives. En anticipant un embouteillage, le système peut proposer un itinéraire bis au conducteur. De même, à l’approche de la date de révision du véhicule, il peut lui caler un rendez-vous chez le garagiste… « Nous avons adapté Cortana pour un usage en voiture, notamment pour interpréter les paroles avec un haut niveau de bruit environnant », expose Marc Couraud, directeur de l’innovation chez MS France.« Outre Cortona, nous proposons des solutions autour de notre Cloud Azure pour que les constructeurs puissent y développer de nouveaux services autour du véhicule autonome », précise-t-il. Amazon développe également une offre cloud pour les véhicules autonomes.
D’autres offres émergent… Avec la décroissance du marché du PC, les fabricants de microprocesseurs trouvent aussi dans le véhicule autonome un nouveau débouché. Nvidia, connu pour ses processeurs graphiques, a développé une plateforme informatique dédiée au véhicule autonome (Drive PX 2) qui équipe déjà les Tesla, et bientôt les Audi. « Nos processeurs fonctionnent comme des réseaux de neurones artificiels, capables d’accomplir plusieurs tâches en parallèle », révèle Danny Shapiro, senior director of automotive chez Nvidia. Le fondeur de Santa Clara propose également une offre cloud (DGX-1) dédié à l’apprentissage de l’IA des véhicules autonomes. Intel a, pour sa part, présenté au CES « Intel GO » qui sera intégrée prochainement par BMW. « Il s’agit d’une off re complète et sécurisée, avec des processeurs pour faire tourner l’IA, mais aussi de la connectivité 5G pour l’échange de données des véhicules, ainsi qu’un accès au cloud d’Intel pour l’analyse de la data », complète Jack Weast, chief systems engineer automated driving.
Face à cette déferlante d’acteurs IT positionnés sur le véhicule autonome, les constructeurs automobiles et leurs équipementiers ont choisi la collaboration plutôt que l’opposition. Renault-Nissan a ainsi signé avec Microsoft, Chrysler avec Google, BMW avec Intel, Uber avec Daimler… Ils misent également sur des investissements stratégiques, comme le rachat en 2015 de la société de cartographie Here par Audi, BMW et Daimler. « Nous développons une cartographie HD, précise au centimètre, qui sera un élément clé de la navigation des voitures autonomes », confie Nicholas Goubert, vice-président Produits chez Here. Afin de développer ses compétences en interne, l’industrie automobile recrute également en masse. En 2017, Ford va, par exemple, doubler les équipes de son centre de R&D de Palo Alto, dédié à la voiture du futur, pour les porter à 400 ingénieurs. C’est aussi le cas de l’équipementier Valeo qui propose en ce moment plus de 150 off res d’emploi dans ce domaine. « Pour Valeo, le véhicule autonome est une aubaine ! Nous développons des capteurs, des calculateurs de fusion de données, des solutions de connectivité », souligne Guillaume Devauchelle, directeur de l’Innovation du groupe.
Cette collaboration entre acteurs IT et industrie automobile n’est qu’une première étape du développement du véhicule autonome. Les premiers modèles attendus pour 2020 fonctionneront d’abord sur les grands axes routiers. Leur déploiement sur le réseau secondaire, ou en zone urbaine, n’interviendra pas avant une dizaine d’années. D’ici là, l’écosystème devrait encore évoluer : « Une collaboration avec beaucoup d’autres acteurs sera nécessaire, notamment les gestionnaires d’infrastructures routières ou les exploitants de transports publics, pour que le véhicule autonome puisse évoluer en milieu urbain. Enfin, un dialogue avec les pouvoirs publics sera également essentiel pour faire évoluer la réglementation routière », conclut Paul Labrogère, directeur du programme Transport autonome de l’IRT SystemX.
>> Cet article est extrait du magazine Alliancy n°17 » Où en est l’IA dans l’entreprise ? » à commander sur le site.