Le Sommet pour l’action sur l’IA se déroulant à Paris a tenté de dessiner l’ébauche d’une gouvernance internationale de l’intelligence artificielle lors d’une table ronde. Son pilotage possible, l’enjeu de l’inclusivité des pays émergents et les conséquences commerciales ont été débattues par plusieurs dirigeants le 10 février au Grand Palais.
“Nous avons besoin de continuer à faire avancer une gouvernance internationale de l’intelligence artificielle”, a déclaré Emmanuel Macron en clôturant le Sommet pour l’action sur l’IA. Un enjeu de taille sujet à de longues discussions en amont de l’événement. Tout d’abord lors d’un groupe de travail réunissant 30 États, puis sous forme de table ronde le 10 février au Grand Palais. La gouvernance évoquée par le chef d’État ne vise pas à implémenter une réglementation mais plutôt des normes ouvertes comme une charte de bonnes pratiques et des accords pour construire des infrastructures. Une dynamique qui s’est soldée, à l’issue du sommet, par un texte non engageant sur l’IA signé par 60 nations ! Le document mentionne, entre autres, “une grande plateforme et un incubateur de l’IA d’intérêt général”. Il sollicite aussi un engagement en faveur d’une gouvernance de l’IA basée sur “un dialogue mondial”, pour changer le paysage mondial fragmenté. En effet, de nombreuses ententes de pays ont tenté de réguler le phénomène. C’est le cas de l’Union européenne avec l’IA Act, entré en vigueur en août 2024, ou encore de l’alliance Smart Africa via un manifeste. La directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, confie : “La fracturation réglementaire m’inquiète.” Pour le ministre brésilien des Affaires étrangères, également présent lors de la conférence tenue sur le sujet, les Nations unies doivent être au centre de la prise de décision.
Une plus grande inclusivité pour limiter le risque politique…
Si tout le monde a semblé s’accorder sur l’acteur devant être à la tête de cette gouvernance, beaucoup ont regretté une hyperconcentration du marché déjà établi. De cette concentration découlerait un risque politique d’après le ministre brésilien Mauro Vieira. “Laisser l’IA aux mains d’un petit groupe pourrait avoir des conséquences sérieuses pour nos systèmes démocratiques et miner le droit international.” Celui-ci a alerté sur l’usage des plateformes numériques comme arme pour atteindre des objectifs politiques, avec une IA qui amplifie la portée des informations. Mauro Vieira et les autres signataires de la déclaration commune pour une IA “ouverte” et “éthique” voient comme solution une plus grande inclusivité. Ainsi, l’IA générerait des avantages économiques bénéfiques pour toute la société. Cela éviterait qu’ils profitent uniquement à une minorité en renforçant la concentration des pouvoirs et des richesses. Pour rappel, les États-Unis ont refusé de signer le document. J.D Vance, le vice-président américain, a soutenu : “ Les États-Unis sont les leaders dans l’IA et notre administration entend qu’ils le restent.” Les pays les moins avancés dans cette course à l’IA espèrent, eux, une représentation juste des pays et une plus grande diversité culturelle.
… mais aussi commercial
“Les pays du Sud, et particulièrement les pays africains, demandent une gouvernance de l’IA véritablement inclusive”, déclare Azali Assoumani, le président de l’Union des Comores. Également président de l’Union africaine en 2023, il a mis le développement numérique au cœur du programme de son mandat. “De nombreux pays africains créent des bases de données d’envergure pour assurer une IA propre à l’Afrique”, a affirmé Azali Assoumani. La directrice générale de l’OMC souligne, de son côté, le défi de la fracture numérique : “600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité en Afrique.” Les inégalités technologiques doivent donc, selon elle, être adressées pour réduire l’écart grandissant entre les pays développés et ceux en développement, via un dialogue inclusif. D’autant plus que cet écart a une incidence sur l’économie globale. L’adoption universelle de l’IA ferait ainsi augmenter les échanges commerciaux de 14 points de pourcentage pour les pays développés et émergents d’après l’OMC. L’organisme décrit la technologie comme source d’une révolution commerciale : “La nature même des produits échangés va évoluer, le coût des échanges et de la logistique va baisser et se conformer à la réglementation sera plus simple”. Reste que les accords entre les pays sont centraux et qu’“avoir plusieurs manières de gouverner l’IA ralentit l’échange de données dont se nourrit cette technologie, cela impacte les échanges commerciaux et pourraient entraîner une baisse de 1% du PIB mondial”, contrebalance Ngozi Okonjo-Iweala.