Président de Mediapost et directeur du Laboratoire innovation et big data du groupe La Poste, Jérôme Toucheboeuf est revenu pour Alliancy sur la stratégie de digitalisation de son groupe, lors du dernier Lab Postal.
Alliancy. A quoi sert de montrer toutes vos expérimentations en matière de co-innovation, notamment avec les start-up ?
Jérôme Toucheboeuf. Nous montrons à la fois des choses en place, d’autres en test ou en projet. Le Lab Postal est un événement de La Poste qui met en avant toutes les innovations que peut faire le groupe sur l’ensemble de ses métiers et territoires, ouvert à nos partenaires, fournisseurs et clients [à l’inverse, Vivatech est ouvert aussi au grand public, NDLR]. On assume nos innovations, nos prototypes et on insiste beaucoup sur le contenu des conférences…, car on veut avoir une approche sur le pivotage ou l’extrapolation que chacun peut s’approprier.
Alliancy. Cela veut-il dire qu’il faut encore acculturer les gens à la transformation numérique ?
Jérôme Toucheboeuf. Ma conviction depuis le temps que je travaille sur ces sujets du numérique, c’est que l’être humain n’aime pas le changement profondément. Et le numérique apporte un changement qui n’est seulement de surface, mais très profond, technologique certes, mais aussi sociétal. On ne peut plus jamais s’arrêter dans son évolution. Il faut une remise en cause perpétuelle. Il faut donc comprendre comment tout change et quel est notre nouvel espace temps entre l’innovation et son déploiement… Parfois, cela peut prendre du temps. Il faut donc arriver à se projeter dans les 5 à 10 ans et ce n’est pas si simple. Donc, oui, il y a besoin de rappeler en permanence le besoin comment se remettre en cause.
Quel bilan pourriez-vous faire de ce qu’a apporté le Lab Postal au groupe La Poste ?
Jérôme Toucheboeuf. Le Lab Postal apporte que l’on peut travailler avec des start-up, des partenaires industriels, mais aussi par nous-mêmes des nouveaux produits, des nouveaux business [l’équipe Yellow Innovation de La Poste est installé dans le studio School Lab, au cœur du Sentier, NDLR]. On monte enfin des prototypes avec certaines villes ou avec des régions, que ce soit dans la logistique… C’est une façon de démontrer que tout est possible et qu’on peut y arriver. Il y a par exemple des gagnants du concours « 20 projets pour 2020 ». Il y a une démarche d’innovation diverse au sein du groupe, on le prouve.
J’imagine que vous souhaitez également passer des messages ?
Heuritech a été la première start-up à intégrer le programme Start’inPost de La Poste. Elle a gagné le concours LVHM l’an dernier sur Vivatech et revient cette année en force sur le salon. Elle est spécialisée dans l’analyse et le traitement de larges volumes de données, un sujet sur lequel Le Groupe La Poste est très actif.
Jérôme Toucheboeuf. Tout à fait. Cette année, au sein du Lab Postal, c’était « La créativité au service du business » et le faire comprendre via des Proove of Concept (POC).
Comment mesurez-vous ces POC ?
Jérôme Toucheboeuf. On ne les mesure pas en tant que quel. Ensuite, l’innovation n’est pas gérée de façon centralisée à La Poste. Des programmes comme l’accélérateur Start’inPost, piloté par Hughes Hansen, ou Yellow vivent leur vie indépendamment. Les branches Banque Postale et logistique* se sont aussi approprié ces sujets sur leurs métiers stratégiques… Il faut que l’innovation se diffuse… On ne peut pas vraiment normaliser les choses. C’est une richesse ! On essaime volontairement plusieurs initiatives pour lancer plusieurs business différents, mais complémentaires, et donner un maximum de chance à tous via nos programmes d’intrapreneuriat et il nous en faut beaucoup. C’est comme cela qu’on lance le porte-monnaie connecté Jaab par exemple, un badge de paiement sans contact destiné aux enfants qui peut être rechargé par les parents via une application proposant par ailleurs un suivi détaillé des dépenses. Toujours pour les enfants, la tirelire connectée Monimalz leur apprend à gérer un budget de façon ludique… Ce sont clairement des nouveaux business pour La Poste !
A quel moment décidez-vous de « scaler » une innovation ?
Jérôme Toucheboeuf. Cela se décide dans les branches qui valident les projets et décident d’aller plus loin en y investissant davantage. Les initiatives doivent être menées au plus près des métiers.
Concernant les données, comment avancez-vous sur ce sujet ?
Jérôme Toucheboeuf. Le groupe a racheté l’entreprise grenobloise ProbaYes il y a deux ans, une start-up fondée en 2003 par des universitaires en robotique et IA. Cette opération lui avait permis de se doter d’un centre de recherche en Intelligence Artificielle pour répondre aux besoins internes de transformation et d’optimisation, mais aussi aux besoins de personnalisation et de développement de nouveaux services pour ses clients. C’est une filiale à 100 % de MediaPost Holding. On a lancé des POC depuis sur la détection des fraudes, l’optimisation des flux logistiques de colis… On a par exemple en projet un véhicule de La Poste appelé « Geoptis », qui serait capable de proposer un état détaillé du réseau routier et de ses équipements afin d’assurer la maintenance de la voirie par exemple, ou encore d’obtenir une recommandation sur les travaux à réaliser en tenant compte d’un budget, ou encore d’assurer aux administrés les meilleures conditions de circulation… On peut aussi voir quels véhicules circulent dans la ville et anticiper sur le degré de pollution en temps réel ou à venir… Aucun système, ni ville est capable de faire cela aujourd’hui… Plein de choses très innovantes autour de ces sujets. Mais on peut aussi imaginer un service pour aider les citoyens à remplir leur feuille d’impôts… quand demain, tout passera par le digital… On travaille aussi sur les chatbots pour simplifier la relation client…
Que diriez-vous de vos relations avec les start-up ?
Jérôme Toucheboeuf. Les relations sont complexes. On n’a pas le même timing, le même rythme, les mêmes besoins… Ce n’est pas toujours facile de croiser les objectifs. Pour autant, on n’a pas encore modélisé ces relations, tout dépend aussi de la personnalité des créateurs… Il faut que les deux parties avancent de concert, il faut une forme d’empathie vis-à-vis de l’autre et il faut surtout une envie de le faire en commun. Il n’y a donc pas une religion, ni de certitude. La question est juste d’avancer par la dynamique et se mettre comme objectif de faire du business ensemble.
* Au total, La Poste cumule 6,5 millions de mètres carrés d’infrastructure (lieux de stockage, agences, bureaux de poste) et plus de 13 milliards d’objets transportés par an.
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