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Valeo ou la vision long terme d’un patron

Jacques Aschenbroich, P-DG de Valeo depuis 2009, a révolutionné l’image de son groupe. D’équipementier automobile au cœur de la tourmente, il l’a depuis hissé au rang de leader français des technologies de la voiture connectée et partagée, électrique et autonome.

>> Cet article est extrait du hors-série « Le Numérique en Pratique », l’Humain, téléchargez-le !

Quatrième patron le plus performant au monde et premier Français pour la Harvard Business Review, prix du Leadership 2017 décerné par le Cercle du Leadership… Jacques Aschenbroich, P-DG de l’équipementier automobile Valeo, a enchaîné ces derniers mois les récompenses prestigieuses. Il s’exprimait hier sur le CEO Forum à Vivatech Paris.

L’industrie automobile – ou des transports au sens large – est en incroyable transformation ! On peut en juger lors de chacun des grands salons mondiaux de l’innovation, qu’il s’agisse du CES de Las Vegas ou, plus récemment, de Vivatech à Paris. Cette année, de nombreux prototypes futuristes y étaient présentés, comme le drone-navette Pop.Up d’Airbus, le taxi-volant de Sea Bubbles ou, encore, la voiture volante autonome EVA X01 de la start-up toulousaine Electric Visionary Aircraft (EVA). Plus proche de nous en termes d’usage, on retrouvait également les navettes autonomes de la start-up lyonnaise Navya, d’ores et déjà en test en France à La Défense, sur l’aéroport de Roissy-CDG et dans le Bois de Vincennes, comme dans le quartier Confluence à Lyon.

Tous les dirigeants de ces entreprises disruptives étaient d’ailleurs présents sur Vivatech pour rappeler aux professionnels, comme au grand public, la révolution en cours dans ce secteur. Ce fut le cas notamment de Jacques Aschenbroich, patron de l’équipementier automobile Valeo, partenaire de tous les grands constructeurs mondiaux (par ailleurs entré au capital de Navya en octobre 2016 avec Keolis lors de sa levée de fonds de 30 millions d’euros).

« Notre secteur doit faire face à trois révolutions simultanées, a-t-il expliqué lors de son intervention sur le salon, qui vont complètement transformer la voiture ». Cela peut se juger au nombre de brevets déposés par les grands acteurs du secteur (dont son groupe), parmi les plus actifs en France et en Allemagne et dans bien d’autres pays. Un phénomène visible depuis quelques années, qui le restera probablement dans les années qui viennent.

Aussi, faut-il revenir à trois questions essentielles : quel moteur dans la voiture ? On assiste à un bouleversement des motorisations, avec la montée en puissance de l’électrique et des technologies alternatives telles que l’hybride. Quel rôle ou pas pour le pilote ? Et quelle place pour la voiture dans cette mobilité digitale ? Simultanément, le véhicule autonome et connecté, ainsi que le numérique, font émerger de nouvelles formes de mobilité.

Il est ensuite revenu longuement sur la baisse du Diesel en Europe, sachant que tout a longtemps été fait pour valoriser cette technologie, montée en France jusqu’à 60 % ! Ceci montre le poids du régulateur qui, dans tous les pays du monde, a privilégié la lutte contre les émissions de CO². « Mais, dans cette logique, un deuxième niveau de régulateurs a pris le pouvoir, ce sont les villes, a-t-il expliqué. Aidées par l’Union européenne, elles ont pour mission aujourd’hui d’améliorer la qualité de l’air par la régulation du trafic. » On s’apprête ainsi à restreindre la circulation des voitures à essence dans les villes, à interdire le Diesel (vignette Crit’Air…). De fait, les mégapoles du C40 Cities, l’association présidée par Anne Hidalgo, maire de Paris (qui représentent plus de 700 millions de citoyens et un quart de l’économie mondiale), se sont engagées à atteindre les objectifs les plus ambitieux des Accords de Paris à l’échelle locale, et à purifier l’air que nous respirons.

« On constate là qu’il y a une volonté politique affichée, pour des raisons de santé publique, d’avoir la main sur la régulation. Et on voit le Diesel qui chute très rapidement, bien plus que ce que l’on pouvait imaginer », a-t-il poursuivi. Il représente aujourd’hui à peine 40,6 % du marché français des voitures neuves au 1er trimestre 2018 en France*, contre 64 % en 2014… et 72,4 % durant l’année record 2011.  Et personne ne sait vraiment ce qui va se passer entre le Diesel, l’essence ou l’hydride à moyen terme. « Mais, moins de CO² et moins de Diesel, ça veut dire tout simplement plus d’électrique et plus d’hybride », estime-t-il. En parallèle, à partir de 2020, si les normes de CO² ne sont pas respectées en Europe, de lourdes amendes tomberont pour les constructeurs… D’où la course qu’il y a actuellement de la part des grands constructeurs de développer des voitures purement électriques, avec la volonté de proposer un tel véhicule en 2021 au prix d’un Diesel, et, en 2025, au prix d’une essence. La filière s’est ainsi engagé à multiplier par cinq les ventes annuelles de véhicules électriques d’ici à 2022, à 150 000 environ (contre près de 31 000 en 2017).

Les inconvénients de cette solution sont bien entendu l’autonomie du véhicule (impactée par les conditions climatiques) et le temps de recharge de la batterie, ce qui coûte le plus cher… Ce qui impliquera de réels changements d’habitude dans les usages avec, in fine, le consommateur qui décidera.

Sur l’ensemble du 1er trimestre 2018, ce sont 87 243 véhicules électriques qui ont été immatriculés sur le sol européen, dont 51 % d’hybrides rechargeables et 49 % entièrement électriques. Des chiffres encore faibles, mais affichant un taux de croissance exponentiel. Pour autant, cette révolution, qui nécessite des dizaines de milliards d’investissements chez les constructeurs, doit faire face à la fois à la limite des connaissances technologiques atteintes sur certains sujets et à l’équilibre entre différentes sources d’énergie difficile à anticiper.

L’arrivée prochaine des robots-taxis

La deuxième révolution qui arrive est le véhicule de plus en plus autonome, même si d’ores et déjà, nous sommes largement assistés au volant… Les constructeurs traditionnels, mais aussi les Uber, Lyft, Google ou Navya, développent des robots-taxis… sans volant, ni pédales sur des circuits balisés. « L’arrivée de ces engins ira très vite, estime Jacques Aschenbroich, d’ici à quelques mois, trois à six mois, car il y en a déjà beaucoup qui circulent, faisant référence à Waymo de Google. » Par exemple, lors des Jeux Olympiques d’été de Tokyo en 2020, de nombreux robots-taxis de constructeurs japonais devraient circuler en masse. Et ce n’est pas la collision récente d’une voiture Uber en mode autonome complet aux Etats-Unis [qui a provoqué le décès d’un piéton] qui pourrait freiner ce mouvement, il est désormais irréversible. Aujourd’hui, dans la plupart des pays, on peut tester les voitures autonomes.

« Il y a un million de morts par accidents dans le monde par an, dont 85 à 90 % sont liés à un problème humain. Un robot ou un algorithme… ça ne dort pas, ça ne boit pas, ça ne fume et ça ne lit pas son smartphone… », a-t-il ajouté. Tout laisse donc à penser qu’une voiture autonome verra le nombre de morts baisser. Les politiques l’ont bien compris et la législation ira de pair avec l’avancée de ces technologies. Y compris en France, où les dix actions prioritaires de la nouvelle stratégie du gouvernement dans ce domaine visent, entre autres, à « construire le cadre, d’ici 2020 à 2022, pour permettre la circulation de voitures particulières, de véhicules de transport public et de marchandises hautement automatisées en France. Si besoin, le code de la route, les règles de responsabilité ou encore la formation pourront être adaptés. »

Après, la question des business models liés à la mobilité digitale reste un autre problème. Si on regarde des disrupteurs comme Uber ou Airbnb par exemple, ce sont aujourd’hui des sociétés très régulées où que ce soit dans le monde. Pour l’instant, Uber multiplie l’offre… A terme, certains analystes pensent que l’arrivée de ces nouveaux services n’aura aucun impact ; d’autres – comme Roland Berger – prédisent que ce marché va s’effondrer. L’équilibre entre le transport de masse et le transport extrêmement flexible, lié au numérique notamment, reste difficile à prédire…

« Par contre, conduire une voiture autonome sur un chemin non balisé risque de prendre encore quelque temps, entre cinq à dix ans sans doute », pronostique Jacques Aschenbroich. Et tout dépendra de l’avancée réelle de la couverture internet ou GPS de la surface des routes en France… Ce qui imposera encore des dizaines de milliards d’investissements de la part des constructeurs et des nouveaux entrants (comme de leurs fournisseurs), qui dépendront principalement du développement de business modèles innovants (gestion d’une flotte de robots taxis par exemple…) et non plus seulement du régulateur. D’ailleurs, les alliances stratégiques se multiplient entre constructeurs et avec les géants de la Tech au-delà même de la conception d’une voiture.

Un positionnement leader sur les capteurs et l’électrique

Cette mobilité numérique, initiée par Uber, est la troisième révolution en cours. Leur force ? Le prix dépend du nombre de personnes ou de la demande et c’est cela la vraie révolution. Depuis, d’autres services astucieux pour optimiser son trajet (à l’aide d’un smartphone) se sont développés, comme BlaBlaCar, Drivy ou Karos en France… et tout ce que l’on connaît autour du vélo (malgré le fiasco actuel de Vélib). Ainsi, le lien devient aujourd’hui évident entre cette mobilité digitale et l’ensemble de la mobilité dans les grandes agglomérations qui, face à cela, agissent différemment. Et l’on risque bientôt de voir une approche de la mobilité et de la réglementation extrêmement diversifiées selon les villes et les pays…

Dans cet univers en pleine reconfiguration, reste à savoir où Valeo souhaite se positionner sur la chaîne de valeur de ces trois révolutions. « Nous ne serons pas un acteur de la mobilité digitale, tranche Jacques Aschenbroich. Mais, nous voulons aider tous ces acteurs à mieux faire leur métier » De fait, sous sa houlette depuis 2009, le groupe s’est positionné pour bénéficier des contraintes réglementaires accrues pour les véhicules polluants en développant des technologies de véhicules économes, notamment électriques ; et est devenu un fournisseur majeur de systèmes de conduite autonome en partenariat avec l’israélien Mobileye, spécialiste des systèmes d’assistance à la conduite à base de caméras frontales. « Sur le véhicule autonome, on veut être un facilitateur, a-t-il indiqué et nous nous sommes clairement spécialisés dans les capteurs, comme les capteurs à ultrasons, les caméras avant, de recul ou à 360 °, les capteurs radars… avec tous les logiciels associés pour les coordonner et interpréter les données. »

Pour la motorisation, le groupe investit à fond sur l’hybride, après avoir abandonné définitivement le Diesel. Fin 2016, Valeo et l’allemand Siemens ont ainsi créé eAutomotive, une joint-venture autour des systèmes de propulsion haute tension. Composé d’un millier de personnes, cette entité propose aux constructeurs des solutions en matière d’électrification des systèmes de propulsion pour véhicules routiers. Valeo Siemens eAutomotive a enregistré un niveau élevé de prises de commandes en 2017 à 6,1 milliards d’euros et 10 milliards d’euros cumulés à fin février 2018. A horizon 2022, cette société commune devrait réaliser un chiffre d’affaires supérieur à 2 milliards d’euros.

Le dirigeant est ensuite revenu sur le bon et difficile équilibre à trouver entre croissance et rentabilité. L’équipementier a publié, fin avril, ses résultats du 1er trimestre 2018, en légère croissance, mais toujours inférieurs aux estimations des analystes. « Notre croissance organique connaîtra une forte accélération au cours du reste de l’année, à un niveau compris entre 5 et 6 % au 2ème trimestre, et d’environ 7 % au 2ème semestre », avait alors expliqué devant les analystes le P-DG. A l’entendre, le bilan est loin d’être inquiétant, d’autant qu’une croissance à deux chiffres est anticipée pour l’année 2019. Surtout, Valeo affiche l’une des meilleures performances du SBF 120 sur dix ans, avec une ascension vertigineuse… de plus de 500 %.

* selon le CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles)

Une innovation collaborative pour renforcer son leadership technologique

Pour sa 5ème édition, le Valeo Innovation Challenge offre la possibilité aux étudiants du monde entier de créer leur start-up pour développer l’innovation présentée dans le cadre du concours.

Valeo, qui a accueilli 42 start-up sur le lab « Automotive Tech » lors du salon VivaTech sous la houlette de Xavier Baillard, directeur de l’incubateur du groupe, a identifié près de 30 000 start-up dans le monde capables de travailler dans les domaines qui l’intéressent. Avec elles, tout est possible, du rachat (pour l’allemande Gestigon) à l’entrée au capital (pour la lyonnaise Navya), ou de l’accord technique (pour l’israélienne Neteera ou la niçoise Ellcie Healthyl) à l’achat de licence…  Le groupe investit dans un certain nombre de fonds (dont l’approche peut être géographique ou technologique comme Cathay Pacific ou Maniv Mobility) à qui il apporte son expertise et qui, eux-mêmes, prennent des tickets dans des start-up. Sur Vivatech, Valeo a ainsi mis en avant Neteera, qui a développé des capteurs capables de mesurer des données physiologiques sans besoin de contact avec le corps humain, une technologie unique au monde que l’équipementier a intégré dans la Smart Cocoon. « La voiture et ses occupants doivent être vues comme une seule entité. Nos capteurs permettent à l’habitacle de réagir automatiquement aux données recueillies sur le conducteur et ses passagers pour individualiser leur confort et prévenir les risques liés à la fatigue au volant par exemple », a expliqué Isaac Litman, CEO de la start-up.

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