Alliancy

[VIVATECH2021] « Innovation écologique : repli ou conquête ? »

Une nouvelle fois, notre chroniqueur Alain Staron a parcouru les allées de VivaTech avec un regard incisif. Et un point d’attention particulier sur les « innovations écologiques ».

En repli sur ses acquis ou en conquête vers de nouveaux horizons ? Quand l’écologie remet en question les infrastructures, c’était un point majeur à Vivatech cette année. Petite synthèse de ce que j’y ai vu et appris !

D’abord, un peu de contexte : nous sommes entrés dans l’ère de la frugalité, avec en héritage des infrastructures construites sous le paradigme de l’abondance. Évidemment, va se poser la question de leur avenir.

Pour commencer, il y a des cas d’usage où les infrastructures manquent, comme dans l’exploitation forestière en France. Si, si, c’est écologique puisqu’une forêt correctement exploitée ne met pas en danger les écosystèmes tout en fournissant un matériau « écologique ». Mais le bilan écologique se dégrade singulièrement s’il faut construire des routes pour faire s’approcher des semi-remorques des zones de retrait des troncs. D’où l’idée germée d’une réunion entre AirLiquide et l’ONF de fabriquer des ballons dirigeables géants (les « flying whales ») pour aller les chercher sans infrastructure.

D’ailleurs, la troisième dimension était bien à l’honneur à Vivatech, avec 3 projets de voitures volantes : cocorico, la RATP avec ADP et PARIS REGION a lancé Urban Air, pour faire voler des taxis volants dès les JO de 2024.

On peut se dire que vu que le CDG express ne sera pas prêt, l’alternative est séduisante pour amener les spectateurs de Roissy au stade de France en un temps record, et illustre parfaitement les limites des infrastructures existantes, voire leur rigidité qui empêche leur adaptation aux nouveaux besoins. Bémol cependant du projet Urban Air : ces voitures auront un pilote, ce qui laisse une seule place aux drones Volocopter envisagés pour le passager. Et, non, le besoin de pilote n’est pas une évidence, et ressemble plutôt à une réminiscence du passé : sur le stand voisin, le chinois Ehang montrait son drone bi place déjà en service en Chine … sans pilote : deux fois plus efficace en termes de charge transportée, et bien plus encore si l’on tient compte du coût du pilote (en temps, en formation, etc.).

De son côté, le néerlandais PalV a pris une autre direction avec son projet de voiture volante déjà ancien : avec 3 roues et un rotor, le véhicule est homologué pour rouler sur route et voler dans les airs. Déjà 56 pré-commandes sur son marché domestique (à 299 000€ le véhicule, disponible fin 2022), la compagnie forme en ce moment ses clients au… brevet de pilotage, car sur PalV, c’est le client qui pilote ! Le paradigme sous-jacent est celui d’un objet à acquérir, qui permet de raccourcir les longues distances (Paris-Londres par exemple) en empruntant les airs, et finir les derniers kilomètres par la route, entre un aéroclub et sa destination finale.

Continuer à faire rêver dans un avenir sans pollution

Typiquement donc, l’innovation surfe sur les infrastructures existantes, et met à contribution le client pour fonctionner, au contraire des deux précédentes, plus récentes, qui se réfèrent au paradigme du service de mobilité, et tablent sur des hubs aériens à installer « à la marge » des infrastructures existantes (sur les sommets des immeubles par exemple).

Dans cette course, il est possible que le plus ancien, qui utilise les infrastructures existantes, se fasse disrupter par le plus prudent, qui met un pilote dans les drones, lequel se fera disrupter par le plus audacieux…

Les esprits chagrins, pour qui voler sans avion – de préférence gros et rassurant – est inimaginable aujourd’hui, seraient bien inspirés de regarder – toujours à Vivatech – le présentoir LEVITA (chez LVMH), qui permet de mettre les objets en lévitation dans une vitrine, ou encore d’échanger avec Raphaël Domjan, fondateur et pilote de solarstratus, qui vise la stratosphère avec un avion électrique solaire, « pour faire rêver les jeunes à l’aviation dans un avenir sans pollution ».

Disruption des infrastructures pour faire face à plus de demande

Ces stimuli, dans la droite ligne de l’envoi du roadster Tesla dans l’espace, de la couverture médiatique de la conquête de mars ou de la vie à bord de l’ISS, insufflent aux futurs clients une autre réalité de l’aérien, de nature à gommer les freins à l’adoption. Car le marketing du mythe favorise la disruption !

Disruption des infrastructures en l’occurrence, pour faire face à une demande grandissante qu’elles ne peuvent satisfaire. Dans le même esprit, MobEnergy développe un robot autonome de recharge qui parcourt les parkings souterrains pour aller recharger les véhicules qui l’ont demandé : une alternative économe à l’infrastructure classique qui vise à immobiliser les places de parking en les équipant de bornes de recharge électrique. Nous voyons à l’œuvre toujours le même changement de paradigme : moins d’infrastructure fixe pour faire face à plus de demande.

Que penser alors de l’offre Flexcity présentée par Veolia ? Une remise au goût du jour des tarifs bleus d’EDF, pour automatiser la préférence de consommation d’électricité aux heures creuses, en la rendant temps réel. En d’autres termes, il s’agit de limiter la demande pour continuer à utiliser des infrastructures vieillissantes. Effort louable, certes, mais pas disruptif. Or, le temps – et l’énergie – passés à améliorer un produit en passe de rupture est autant de moins passé à préparer sa disruption…

Dans la même veine, l’offre Mobilize présentée par Renault sur l’un des plus gros stands de Vivatech est une remise au goût du jour de feu Autolib, avec des véhicules à base de matériaux recyclés et des batteries hautement recyclables.

Or, Autolib n’a pas disparu de ne pas être assez écologique, mais de l’arrivée d’Uber : des voitures disponibles, qui arrivent en un clic, et qu’on ne doit ni aller chercher, ni conduire, ni garer. Voilà les « pain points » que les flottes de véhicules autonomes résolvent. Et plusieurs fabricants montraient leurs véhicules sans chauffeur sur les stands juste voisins : la disruption était à Vivatech littéralement à la porte d’à côté ! Ces véhicules servent au transport de passagers ou de marchandises, ou à la surveillance. Le chinois Neolix par exemple, qui opère sur route ouverte à Pékin, annonce ouvertement chercher des lobbys pour faire évoluer la réglementation en Europe. Pas sûr que sa tâche soit très facile en France, où l’on cherche surtout à protéger les emplois actuels, mais son représentant m’expliquait fonder de plus grands espoirs sur l’Allemagne, dont l’industrie amirale (VolkWagen Mercedes et BMW) doit rapidement s’adapter sous peine de se faire disrupter, quitte à faire évoluer ses métiers.

Métiers en souffrance et effets pervers de la politique publique

Par effet rebond, le stand ManPower était cerné par des robots de surveillance disponibles à la location ou à la vente. Devraient-ils réfléchir à une diversification vers RobotPower pour ne pas laisser cette nouvelle puissance de travail aux nouveaux entrants ? Les nouveaux métiers, eux, arriveront plutôt par les entreprises de tech, comme on pouvait le lire au fronton du stand de Microsoft : « new tech powered jobs ».

Au-delà des considérations écologiques, on ne peut que constater qu’il reste aussi de nombreux métiers en souffrance, comme les professions médicales : les médecins, déjà mis à rude contribution avec la pandémie, sont en sous-nombre, et la situation ne va pas s’arranger : le paradigme de la santé quasi gratuite en France génère en effet deux effets pervers graves. Le premier tient au financement public des dépenses de santé, qu’il faut donc comprimer le plus possible, en maintenant en particulier les honoraires du praticien généraliste au niveau de ce qui se pratique en Thaïlande. L’absence d’économie de marché ici démotive une partie des candidats médecins qui s’orientent vers des discipline plus lucratives – car non remboursées. Le vieillissement de la population (un nombre de centenaires multiplié par 10 à l’échelle d’une génération) va à l’inverse accentuer la pression sur le secteur. La vraie réponse disruptive ne tient pas tant à la robotisation du médecin et aux cabines de télémédecine classiques qui vont certes désengorger une partie des cabinets mais sans agir sur la source. La disruption salvatrice du secteur tiendra probablement au développement de la prévention, comme le propose la cabine Bodyo, qui mesure 27 paramètres biologiques en 6 minutes et propose la conduite de prévention la plus adaptée.

Bodyo et ses confrères risquent cependant fort de se heurter au deuxième effet pervers de la politique de santé à la française : puisque se soigner est gratuit, pourquoi payer pour de la prévention ? En Thaïlande, le massage, très utile en prévention, est quatre fois moins cher que la consultation médicale, alors qu’en France, il est quatre fois plus cher.

Infrastructures, réglementation et politique : pour que le pays puisse offrir un avenir à ses jeunes, la disruption doit être de règle partout !

 

****

Retrouvez mon tour de Vivatech en 8 minutes sur BSmart 

Et pour tout savoir sur l’autodisruption : https://www.amazon.fr/Auto-disruption-transformation-digitale-produits-entreprise/dp/2807328881

 

 

Quitter la version mobile