VMware accompagne de nombreux groupes industriels dans leurs transformations numériques, que ce soit au niveau de leur gestion du multicloud, de la cybersécurité ou de la modernisation applicative. En tant qu’observateurs privilégiés du marché, Éric Marin, directeur technique, et Arnaud Forgiel, senior business solution strategist, décrivent les changements qu’ils perçoivent au sein des DSI du manufacturing et les leviers majeurs qu’il reste à activer selon eux pour améliorer la relation IT-métier dans le secteur.
À quel point estimez-vous que les DSI d’entreprises industrielles françaises ont évolué sur la question de la relation entre l’IT et les métiers ces dernières années ?
Éric Marin. Comme l’a prouvé l’atelier que nous avons pu organiser sur le sujet, les DSI ont maintenant une perception assez aiguë de cette problématique et les échanges sont donc beaucoup plus riches. Il est particulièrement intéressant de voir qu’ils se projettent à la fois sur les sujets technologiques qui pèsent sur la question, que sur les sujets organisationnels. La réalité est que le DSI d’une entreprise industrielle doit aujourd’hui être capable de naviguer la perfect storm des nouvelles technologies qui animent son secteur, tout en gardant un regard éclairé sur les enjeux humains.
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Arnaud Forgiel. Ce dernier point est particulièrement approfondi dans les échanges : les personnes compétentes et la difficulté à les recruter sont régulièrement des éléments centraux de la discussion. C’est aussi une question qui nous préoccupe chez VMware et notre stratégie centrée sur le multicloud, la simplification et la notion d’ « usage universel » vise justement à favoriser la transmission des compétences utiles, pour éviter que la marche de transformation ne soit trop haute pour les entreprises confrontées à ces problématiques. Ce que l’on voit, c’est une grande humilité chez les DSI quand il s’agit de gérer un challenge complexe, c’est-a-dire comprendre sur quelles briques technologiques il est vraiment utile de parier et se doter des bonnes compétences pour les gérer. « Il est impératif de développer une saine curiosité pour le métier. » ; c’est cette phrase évoquée récemment par un DSI que je retiendrais pour résumer l’enjeu.
[bctt tweet= »« Le DSI d’une entreprise industrielle doit aujourd’hui être capable de naviguer la perfect storm des nouvelles technologies qui animent son secteur, tout en gardant un regard éclairé sur les enjeux humains. » – Éric Marin » username= »Alliancy_lemag »]Jusqu’à quel point un éditeur peut-il s’engager pour faciliter la relation IT-métier dans une entreprise ?
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Des éditeurs de solutions numériques poussent des solutions SaaS directement auprès des ingénieurs méthode, des responsables opération et d’autres acteurs clés pour la construction de l’industrie 4.0. C’est compréhensible, mais il faut identifier le risque qu’il y a à créer ainsi du shadow IT, à pousser l’IT dans ses retranchements quand d’un coup – et ça arrivera toujours – il se met à y avoir des problèmes. Les éditeurs ne peuvent plus penser le métier contre l’IT, ils doivent avoir construit eux aussi cette vision collective que veulent mettre en place de plus en plus de DSI.
La prise de conscience à laquelle on semble assister dans l’industrie ces dernières années concernant l’importance de la cybersécurité, peut-elle être un levier de rapprochement efficace ?
Éric Marin. J’ai vu une bascule s’opérer autour de l’année 2020 au niveau des discours. Jusque-là, j’étais souvent surpris et choqué par le manque de prise de conscience de cette réalité de la menace pour les acteurs industriels. À titre personnel, je suis ces sujets depuis 1996 et j’espère depuis des années qu’une véritable inflexion va arriver et transformer les usages et réflexes des entreprises… À ce stade cependant, il est encore trop tôt pour dire si un tel cap est en passe d’être franchi. En tant que fournisseur de solutions de sécurité, nous avons nous-mêmes un rôle important à jouer pour convaincre et accompagner. Une étude récente que nous avons menée avec IDC sur le secteur manufacturier français, a montré que par rapport à d’autres secteurs, les entreprises interrogées étaient beaucoup plus frileuses sur les usages liés au cloud public et privilégiaient davantage le cloud privé, notamment pour des raisons de sécurité. Mais c’est une vision qui est un peu caricaturale et qui ne suffit pas pour avoir une démarche de sécurité d’avenir, car au-delà du choix des technologies utilisées, celle-ci dépend énormément de la prise en compte collective, IT et métiers, de la sécurité dans les projets et la dynamique d’innovation.
[bctt tweet= »« Quand les entreprises veulent dépasser les expérimentations métier pour entrer dans une véritable industrialisation, la nature de leur infrastructure IT devient clairement un accélérateur ou un ralentisseur d’innovation. » – Arnaud Forgiel » username= »Alliancy_lemag »]Arnaud Forgiel. On voit notamment une peur de connecter les équipements industriels. C’est en partie légitime, car il y a un enjeu certain lié à la vétusté des machines-outils, alors que leurs contrôleurs sont basés depuis toujours sur des langages comme Ladder, qui ont été développés par des automaticiens et non des informaticiens. Leurs racines et leur philosophie sont très différentes des langages qui portent le monde numérique actuel, notamment parce qu’ils n’ont pas adressé la question de la connectivité dès l’origine. Je pense que tous les industriels devraient garder en tête à ce titre l’exemple du malware Stuxnet sur les centrifugeuses iraniennes en 2010, qui a démontré à quel point il pouvait y avoir des dégâts sur les systèmes Scada de ce fait. Au demeurant, l’aspiration vers l’industrie 4.0 est encore aujourd’hui parasitée par une approche de la sécurité en mode « verrue » peu adaptée, avec des règles de sécurité qui entrent directement en conflit avec les besoins métiers en termes d’automatisation, de mise à l’échelle, etc.
Ce sujet épineux semble en tirer beaucoup d’autres, dans le discours des DSI…
Éric Marin. C’est certain, car l’autre point qui a changé ces dernières années, c’est bien la « softwarisation » généralisée des entreprises, avec une place grandissante prise par les développeurs dans les organisations. Ces développeurs deviennent les rois de la transformation pour les métiers. Et le lien avec la cybersécurité est clair : comment faire pour que la sécurité soit pensée de façon cohérente dans chaque projet ? On sait pertinemment que les développeurs veulent surtout créer et innover et ne veulent pas consacrer trop de temps à la sécurité. C’est donc la responsabilité des éditeurs comme nous, de faire du sujet un no brainer, en automatisant au maximum la sécurité, depuis la création du code jusqu’à la mise en production elle-même.
Arnaud Forgiel. Les entreprises sont sensibles au fort marketing sur le low-code et le no code, qui portent des promesses très séduisantes de développements rapides pour les métiers. Mais la réalité est un peu plus complexe. En particulier, la question de l’accès à la donnée est souvent passée sous silence. Cela met pourtant une pression certaine sur les équipes IT qui doivent gérer cet accès, en parallèle de la sécurité, du stockage de la data, etc. Il n’y a pas que le côté « fun » dans les cas d’usage innovants autour de la donnée. Sur des sujets comme l’analyse de vidéo ou la maintenance prédictive, les contraintes sont si fortes qu’elles deviennent des facteurs de tension entre l’IT et le métier si l’on n’y prend pas garde.
Qu’est-ce qui permettrait de changer la donne sur le sujet ?
Arnaud Forgiel. Tout ce qui permet de marcher sur la fine crête entre l’appétence pour un déploiement rapide et la sécurisation, c’est-à-dire notamment la capacité à avoir une itération bien pensée et à avoir des outils de plateforming qui permettent d’accélérer les déploiements. Ces outils changent la façon de faire des tests et de sécuriser par exemple. Quand les entreprises veulent dépasser les expérimentations métier pour entrer dans une véritable industrialisation, la nature de leur infrastructure IT devient clairement un accélérateur ou un ralentisseur d’innovation. C’est ce que l’on voit sur les sujets liés à l’edge computing, qui sont au cœur de la vision sur l’industrie 4.0 ; avoir une plateforme qui permet d’itérer sur le développement d’une solution de façon crédible et sécurisée débloque beaucoup de tensions.
Éric Marin. Depuis deux ans, les DSI ont l’opportunité cruciale de repositionner leurs équipes pour en faire des transformateurs avec le business. La crise sanitaire a provoqué un déclic et l’on voit nos clients prioriser à nouveau des projets qu’ils avaient dans les cartons et cette fois-ci obtenir les budgets associés. Dans notre rôle de fournisseur, la promesse par rapport à cela est bien d’avoir une position agnostique et de faciliter cette « réallocation » de ressources, notamment en évitant le vendor-lockin dans le cloud par exemple. Les technologies sont bien plus matures qu’il y a trois ou quatre ans pour faire les arbitrages qui conviennent sur le cloud privé, en offrant les mêmes capacités de service, de souplesse, de coûts, que le cloud public. Avoir une agilité globale pour sa plateforme, passer du privé au public, rapatrier les conteneurs… tout cela se fait beaucoup plus facilement aujourd’hui. Les DSI peuvent donc être un moteur d’innovation pour les métiers, à condition d’avoir un niveau d’exigence et de sélectivité suffisant.
Qu’est-ce qui va peser le plus à l’avenir sur la relation IT-métier dans l’industrie ?
Arnaud Forgiel. Les pénuries de compétences. Nous avons chaque jour des échanges avec des sociétés de taille conséquente, qui ont des postes ouverts depuis des mois sans que personne ne les rejoigne. Les talents font leur marché et les acteurs industriels ne sont pas sur le devant de la scène. Les deux ou trois prochaines années seront décisives car les entreprises vont devoir accompagner leurs talents historiques vers leurs nouveaux besoins, notamment au niveau des outils qui permettent d’automatiser un environnement multicloud. Cette automatisation pourra d’ailleurs être également un levier pour séduire les jeunes talents, en recentrant le travail sur l’analyse, la configuration et la conception intelligente. L’idée est de sortir du côté rébarbatif de l’IT pour consacrer plus de temps aux sujets d’architecture, de suivi intelligent des opérations à travers des métriques modernes, y compris sur le cloud, ou encore de gestion de la micro-segmentation et de la topologie des applications, le tout en temps réel ! Autant de sujets qui rendent aussi l’IT à même de mieux discuter avec les équipes du digital et les métiers.
Éric Marin. Plus encore, ce qui devra émerger dans les mois à venir, ce sont de nouvelles formes d’organisation, et pas seulement au sein de l’IT. Celles-ci devront offrir une capacité à absorber en permanence les technologies et leur promesse. Différents modèles existent, plus intégrés et moins séparés du cœur de l’entreprise, comme cela était l’usage jusqu’à présent. Ces organisations facilitatrices d’innovation seront également un moyen de mieux conserver les talents.
Arnaud Forgiel. Un dernier point à garder en tête, ce sont les remises en question qui se font en parallèle du côté des métiers. Dans le cadre de la transformation vers l’industrie 4.0, les ingénieurs méthode, qui se concentraient historiquement sur les flux physiques, ont maintenant des flux digitaux à gérer. Dans les entreprises, les équipes qui se montent côté digital vont donc devoir se rapprocher des méthodes, qui bénéficieront grandement en retour de cette ouverture. J’encourage en ce sens les responsables IT à avoir des revues régulières avec ces acteurs de méthodes, à la fois pour les sensibiliser sur les outils, la sécurité, les coûts… mais aussi pour amener progressivement le sujet de la data dans une compréhension partagée. La façon dont ce rapprochement va être vécu sera un aspect central de la réussite. Il faut accompagner à chaque instant les automaticiens et les électriciens dans le monde digital, car ce sont eux qui repenseront le métier et innoveront.