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Yann Bouju (DCNS) : « On ne peut plus faire de sous-marin sans réalité virtuelle »

La réalité virtuelle est l’un des sujets qui dominent les discussions au salon du Bourget, qui se tient jusqu’au 25 juin. Le groupe DCNS, spécialisé dans l’industrie navale, utilise cette technologie depuis 2005 et confirme son potentiel dans les domaines militaires. Interview avec Yann Bouju, responsable de projets de réalités virtuelle et augmentée.

DCNS dispose de quatre salles de réalité virtuelle, dont l'une à Cherbourg. ©DCNS

DCNS dispose de quatre salles de réalité virtuelle, dont l’une à Cherbourg. ©DCNS

Les projets de réalité virtuelle sont devenus omniprésents dans le secteur de l’aéronautique, comment expliquez-vous que les sujets liés à cette technologie s’accélèrent ?

Yann Bouju. Pour rappel, la réalité virtuelle, c’est immerger en temps réel un individu dans un univers 3D calculé par ordinateur et représenté à l’échelle 1, proche de la réalité, dans lequel il est possible d’interagir. La réalité augmentée permet d’apporter de l’information numérique directement au monde réel grâce à des lunettes. La réalité virtuelle est une technologie largement utilisée et mature depuis une quinzaine d’années mais on en parle de plus en plus car on se rapproche actuellement du grand public. Elle devient accessible, notamment dans le jeu, avec des casques ne coûtant pas plus de 2 000 euros. Autre exemple, il est possible pour les particuliers de concevoir leur future maison en 3D, c’est similaire à nos besoins et nous avons des questionnements identiques, cela rapproche nos deux mondes.

Depuis combien de temps utilisez-vous la réalité virtuelle ?

Yann Bouju. On a commencé à l’utiliser en 2005. Nous avons travaillé en partenariat avec le centre de recherche Clarté, situé à Laval, sur l’exploration des nouvelles technologies pour déterminer comment exploiter la richesse des données. L’objectif initial était d’accompagner la phase de conception de produits complexes. Un sous-marin, c’est une quantité d’équipements qui se superposent. La réalité virtuelle nous a permis d’avoir un aperçu et comprendre les enjeux de la forêt de tuyaux et de câbles qui se mêlent. Désormais chez DNCS, une équipe d’une quinzaine de personnes travaille sur la réalité virtuelle et/ou augmentée pour la mettre au service des nouveaux usages. Une salle est dédiée à la partie industrie car plus on est près des utilisateurs, plus ça sera utilisé. C’est ainsi notre salle la plus immersive avec une vision de face et au sol. Elle est implantée dans notre chantier à Cherbourg.

Quelle utilisation concrète en faites-vous ?

Yann Bouju. Elle est utilisée à deux fins : d’une part pour les processus afin de répondre aux besoins et d’autre part de manière embarquée pour les navires et les équipages. Dans la phase de préconception, l’enjeu est de comprendre les besoins en amont pour bien concevoir du premier coup. Les sous-marins ne sont pas produits en grosse série, il y a des contraintes de variabilités, notamment au niveau de la luminosité. Les marins sont plongés dans la maquette numérique du navire avant sa conception pour se familiariser avec et voir ce qui n’irait pas. La réalité virtuelle permet d’étudier à la fois l’emménagement, l’ergonomie et la maintenance. La donnée est donc gérée, enrichie et utilisée pour la conception, la fabrication et la maintenance. Nous suivons l’état des cloisons, des tuyaux ou de la coque par métadonnées. La notion de continuité numérique est essentielle. Aujourd’hui, on ne peut plus faire de sous-marin sans réalité virtuelle.

Quels avantages en tirez-vous ?

Yann Bouju. Grâce à nos salles de réalité virtuelle, nous accueillons les équipes de conception et les responsables des systèmes. Chacun apporte ses besoins et ses contraintes et, avec la 3D, ils peuvent trouver la meilleure conception possible. Nous avons également la possibilité d’accueillir le client pour nous adapter à ses attentes pendant la conception mais aussi les futurs exploitants pour leur faire vivre l’expérience de leur prochain navire et voir comment accéder aux différentes manettes.

DCNS a organisé ses Naval Innovation Days pour illustrer la digitalisation des navires. ©DCNS

Comment mesurez-vous les gains économiques engendrés par la réalité virtuelle ?

Yann Bouju. Ce n’est pas simple de mettre en évidence le gain permis par la réalité virtuelle mais on observe sur les navires réalisés avec la maquette numérique, après 2005, une baisse des reprises à bord. Par exemple, sur une frégate Horizon qui n’a pas été conçue avec de la réalité virtuelle, il y a eu de lourdes reprises sur des éléments qui ne convenaient pas au client, notamment au niveau de la tuyauterie. Cela a demandé plusieurs centaines de milliers d’euros. Cela ne s’est en revanche pas produit avec la frégate Fremm. Au final, la réalité virtuelle induit un gain qualitatif et financier et permet de mieux intégrer le client.

Avez-vous également intégré de la réalité augmentée dans vos processus ?

Yann Bouju. La réalité augmentée, corollaire de la réalité virtuelle, est une autre manière d’exploiter la donnée. C’est une innovation qui améliore le processus. Nous sommes toujours dans une phase d’expérimentation avec des prototypes visant à répondre à des cas d’usage dans les navires. Nous mettons en place des outils pour le contrôle et la maintenance à bord mais il faut encore affiner les usages. Aujourd’hui, la data est imprimée et l’opérateur se réfère à ses fiches pour travailler ; elles peuvent être une source d’incompréhension et d’erreur. Avec la réalité augmentée, nous allons proposer à l’opérateur d’avoir une bonne vision des données sans papiers. L’idée est de maîtriser l’erreur pour l’éviter car les reprises coûtent cher et désorganisent la planification d’une production. Par exemple, il faudrait éviter de peindre avant que les contrôles ne soient effectués car s’il y a une reprise à faire, il faudra repeindre, cela demande du temps et de l’argent. Malheureusement, les contrôles actuels ne sont pas exhaustifs, ils ne concernent qu’un échantillon car nous devons aller vite. Avec la réalité augmentée, on pourra le faire de manière complète dans le même laps de temps. Mais pour l’heure, il y a beaucoup de discours marketing sur la réalité augmentée qui ne répondent pas à nos besoins.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

Yann Bouju. Nous travaillons en collaboration avec la société Diota sur le projet Nasima, une application de réalité́ augmentée permettant de visualiser et contrôler l’état d’avancement du montage d’équipements lors du chantier de construction d’un navire. Elle est prévue pour 2018. Autre projet, la plateforme coopérative Factory Lab avec PSA et Safran, avec laquelle nous partageons des briques technologiques. Ces projets sont orientés « industrie du futur », l’une de nos priorités.

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