Yves Tyrode (BPCE) : « Le digital joue un rôle complémentaire à celui du conseiller »

Yves Tyrode, directeur général « Innovation, Data et Digital » du Groupe BPCE, travaille à la fois sur l’expérience client, les business process et les technologies, notamment autour de la data. Entretien avec cet expert dont l’objectif vise à améliorer la productivité et la performance globale de l’entreprise en cette période de crise sanitaire.

Alliancy. Vous prenez en charge la nouvelle direction « Innovation, Data et Digital » du Groupe BPCE. Un mot sur les grands projets que vous avez menés depuis votre arrivée il y a quatre ans pour prendre en charge le digital ?

Yves Tyrode, directeur général Innovation, Data et Digital du Groupe BPCE

Depuis octobre 2016, Yves Tyrode s’occupe du digital au sein du Groupe BPCE (à l’époque présidé par François Pérol, succédé par Laurent Mignon mi-2018), après un parcours notamment dans le e-commerce en tant que directeur général de Voyages-sncf.com de 2011 à 2014.

Yves Tyrode. La transformation du secteur bancaire est portée par la data et l’intelligence artificielle, des technologies appliquées de manière différente qu’auparavant et qui ont beaucoup d’impact dans l’expérience de nos clients, mais aussi de nos conseillers.

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En quatre ans, je vois deux étapes parcourues, chacune a duré environ deux ans et une troisième étape s’ouvre aujourd’hui. De 2016 à 2018, il y avait déjà cette prise de conscience que le digital allait changer le monde bancaire et qu’il fallait bouger !

Nous avons donc mis en place le dispositif technologique et organisationnel nécessaire à cette transformation en partant d’abord des clients [1 000 personnes, de l’IT en passant par les PO et les UX designers développent tous les parcours digitaux du client]. Les premiers résultats se sont traduits sur la banque à distance et notamment de nos applis pour aboutir à un même niveau de service que les banques en ligne ou les néo-banques, voire davantage. Cette première étape a eu également un impact fort sur l’acculturation des collaborateurs du groupe, comme les conseillers, les experts, le back-office, les managers…

Mi-2018, la seconde étape a alors consisté en un déploiement massif des nombreux services digitaux que nous avions créés précédemment. Nous avons également travaillé pour intégrer le digital au cœur de nos métiers bancaires et d’assurance, avec Christine Fabresse, directrice générale banque de proximité et assurance. C’est un concept que nous avons élaboré avec l’équipe dirigeante et appelé en interne le « Digital Inside », pour que le digital s’intègre et se diffuse partout.

Votre rôle est-il différent de ce fait ?

Yves Tyrode. Tout à fait. L’activité digitale, plus transverse, consiste en un service d’expertise internalisé, qui porte un certain nombre d’objectifs business comme la qualité de services, la satisfaction autour de notre application mobile, les notes sur les stores…

Pour autant, nous avons compris qu’un parcours « full digital » dans la banque ne fonctionne pas toujours… Pour convertir son trafic en vente dans nos métiers, la seule manière d’y parvenir est d’offrir un parcours hybride, entre digital et conseil. Aujourd’hui, le digital joue un rôle complémentaire à celui du conseiller (toutes les opérations simples et quotidiennes se font en ligne), qui est essentiel pour accompagner nos clients dans le traitement des opérations les plus complexes (les produits d’épargne par exemple).

A quel bilan arrivez-vous au moment de lancer la troisième étape ?

Yves Tyrode. Aujourd’hui, le digital est ancré dans l’entreprise et au plus proche des métiers. Le Groupe BPCE, avec ses deux grands réseaux Banque Populaire et Caisse d’Epargne, est en train de devenir un énorme carrefour d’audience internet… Environ 80 % de nos clients bancarisés principaux sont utilisateurs, soit de notre application (ils y viennent quasiment une fois par jour), soit de notre site en ligne (1 fois par semaine)… L’application mobile, avec plus de 6 millions de clients qui se connectent par mois, reste un sujet technologiquement complexe. Aujourd’hui, nous sommes ouverts 24 heures sur 24 en quelque sorte… Tout doit fonctionner parfaitement et de façon ultra-sécurisée, d’où notre Factory digital et data sous ma responsabilité, en parallèle des services de Laurent Benatar, directeur général adjoint Technologies et Opérations.

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Votre activité, qui englobe désormais data et IA, vise donc à aller encore plus loin dans la digitalisation…

Yves Tyrode. C’est le sujet sur lequel travaille, depuis plus de dix-huit mois, notre Task Force « Data et Intelligence artificielle ». Comment ces technologies peuvent servir encore plus le business, en complément du digital ? L’idée est de mieux accompagner les conseillers bancaires (en les aidant par exemple à prévoir les bons moments pour proposer nos produits), mais aussi à automatiser la mise à jour, la gestion et l’analyse de milliards de documents… Pour résumer par analogie au secteur de l’automobile, avec le digital, vous avez refait la carrosserie, puis l’ergonomie de l’habitacle et, aujourd’hui, avec la data et l’IA, vous allez refaire les roues et le moteur… C’est cela la troisième étape que nous vivons.

La crise sanitaire a-t-elle accéléré cette évolution que vous décrivez ?

Yves Tyrode. Clairement, la crise a accéléré plusieurs effets. Le premier est le digital interne. Aujourd’hui, 80 % des collaborateurs, via Microsoft Teams, ont accès à tout à distance… jusqu’aux rendez-vous avec les clients. Côté clients, l’adoption également est plus forte, mais le phénomène était déjà largement amorcé avant la crise. Seule différence : tous les process doivent être digitaux désormais, et pas seulement les plus importants. Et les professionnels comme les particuliers ont les mêmes attentes… D’ailleurs le Groupe BPCE a été le premier groupe bancaire à proposer la signature électronique pour les prêts garantis par l’Etat (PGE).

Deuxième acteur bancaire en France

Le Groupe BPCE, avec son modèle de banque coopérative universelle représenté par 9 millions de sociétaires, est le deuxième acteur bancaire en France. Avec 105 000 collaborateurs, il est au service de 36 millions de clients dans le monde, particuliers, professionnels, entreprises, investisseurs et collectivités locales. Il est présent dans la banque de proximité et l’assurance en France avec ses deux grands réseaux Banque Populaire et Caisse d’Epargne ainsi que la Banque Palatine. Il déploie également au niveau mondial, avec Natixis, les métiers de gestion d’actifs, de banque de grande clientèle et de paiements. A travers ce dispositif, il propose à ses clients une offre diversifiée : solutions d’épargne, de placement, de trésorerie, de financement, d’assurance et d’investissement.

 

Et concernant les paiements ?

Yves Tyrode. Les paiements sans contact, les paiements à distance sur des sites de e-commerce… Toutes les solutions et fonctionnalités existent et sont très utilisées par nos clients. C’est un sujet qui en amène un autre : la sécurité des paiements en ligne, à laquelle répond notre solution Sécur’Pass, notre solution d’authentification forte, particulièrement utile pour les opérations sensibles. Il faut protéger les consommateurs lorsqu’ils achètent en ligne… C’est très important pour les marchands également.

Que reste-t-il encore de la relation humaine avec vos clients ?

Yves Tyrode. La relation humaine passe par la rencontre et l’expertise ! Aujourd’hui, le vrai sujet est le conseiller, qu’il soit à distance ou en présentiel. Il gère aujourd’hui un nombre considérable de sujets (retraite, décès, crédit voiture, épargne de précaution, placements…). La data et le Machine Learning peuvent être utilisés dans la vérification des documents, à mieux l’informer sur tous les sujets qu’il traite et à anticiper les situations et les besoins de nos clients, afin de proposer les meilleurs produits… C’est ce que nous visons désormais, en respectant de façon rigoureuse toutes les réglementations autour de cette data.

Quelle est votre position à ce sujet par rapport à vos concurrents ?

Yves Tyrode. En tant que tiers de confiance et banquier, nous avons un rôle sociétal à jouer sur l’éthique de la data. C’est un vrai différenciateur par rapport aux acteurs américains notamment. Les logiques réglementaires poussées par l’Europe, notamment la protection des données personnelles devient un sujet de fond, culturel. Aux Etats-Unis, quand vous entrez dans un espace marchand, vos données appartiennent aux marchands… Face à cette logique implacable, les données personnelles vont devenir un vrai débat de société et tout le monde s’accordera pour dire qu’il faut les protéger et qu’il faut une meilleure supervision de ce qui en est fait.

Yves Tyrode, pilote de la nouvelle direction « Innovation, Data et Digital » de BPCE

Le Groupe BPCE, dans le cadre de la préparation de son futur plan stratégique, vient d’annoncer le regroupement de ses activités de data et d’intelligence artificielle au sein d’une « direction de l’Innovation ». Sous la responsabilité d’Yves Tyrode, membre du Comité de direction générale, cette nouvelle entité est organisée autour de trois pôles que sont l’Innovation, sous la direction de Frédéric Burtz, dont l’objectif est d’offrir de nouvelles sources de revenus, l’incubation de projets stratégiques internes/externes et la participation au capital de sociétés technologiques. Vient ensuite le pôle « Data et l’intelligence artificielle », dirigé par Luc Barnaud, pour assurer la réalisation de services et outils exploitant le potentiel de la donnée via l’IA (mise en qualité et restitution de l’analyse des données). Enfin, le pôle « Digital Client », sous la direction d’Emmanuel Puga Pereira, prend en charge la conception et la réalisation des espaces et services digitaux pour les clients particuliers, professionnels et entreprises des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne.