Les business models de la distribution traditionnelle sont dépassés et doivent être remplacés par des modèles économiques privilégiant l’interaction avec le consommateur. Il en va de la viabilité des points de vente physiques, selon Cédric Ducrocq, président du groupe Diamart.
Alliancy : Quels sont les facteurs du changement des business models de la distribution ?
Cédric Ducrocq. Le modèle historique du commerce moderne, issu des années 1970 et 1980, repose sur des distributeurs multimarques, dont les magasins offrent un niveau d’expérience et d’accompagnement plutôt modéré. De même qu’on a développé une production et une consommation de masse, l’enjeu était de créer une distribution de masse et des modèles adaptés pour rendre accessibles une offre large à un prix compétitif. Ce modèle arrive en fin de cycle. Ces vingt dernières années, les enseignes ont évolué en mettant en place des stratégies de renforcement de leur différenciation marketing, de relation client, de multiformat, puis d’omnicanal. Malgré tout, la grande majorité des leaders du commerce français restent des enseignes multimarques, c’est-à-dire des revendeurs qui essaient de se démarquer et dont les magasins, qu’ils ont tenté d’améliorer progressivement, restent plus efficaces. qu’expérientiels. Ce modèle réalise encore des performances tout à fait honorables, mais on voit bien qu’il va falloir accélérer son évolution.
Quels sont les enjeux ?
Cédric Ducrocq. Le premier enjeu est de savoir quelle est l’utilité d’un magasin face à la banalisation (« commoditization ») du e-commerce et de la livraison à domicile. Si un magasin se compose uniquement de gondoles avec des boîtes en plastique posées dessus, cela ne présente évidemment aucun intérêt, surtout maintenant que la livraison gratuite ou quasi-gratuite se généralise, sauf dans l’alimentaire où elle reste onéreuse. La raison d’être d’un supermarché ou d’un hypermarché alimentaire n’est donc pas remise en question à court terme. Un magasin ne doit plus être un entrepôt ouvert au public, mais un endroit où il se passe quelque chose en termes de relation, de conseil, d’accompagnement, ce qu’on loge en général derrière le mot fourre-tout d’« expérience », dont on ne sait pas très bien ce qu’il recouvre. Proposer plus d’expériences, de valeur ajoutée, est nécessaire mais coûte plus cher quand on assiste en parallèle à une diminution des trafics et des chiffres d’affaires au mètre carré. Le défi est donc de réussir à financer cette évolution. Le deuxième enjeu est sociétal. Depuis une quinzaine d’années, on constate une perte de crédit de tout ce qui est issu du « top-down » (approche descendante), qui n’épargne pas le marketing et la distribution. Elle a été accélérée ces dernières années par les outils digitaux qui favorisent l’horizontalité et la propagation rapide des informations. Aujourd’hui, le consommateur accorde plus de crédit aux avis de ses pairs qu’à des supposés experts ou à des institutions officielles. C’est l’ère des influenceurs. Face à ce nouveau monde, les distributeurs sont obligés de réinventer a minima leur marketing et leur relation client. Cependant, au-delà, la porte est ouverte à des business models complètement nouveaux, beaucoup plus « bottom-up » (approche ascendante), la préférence de marque se construisant de plus en plus par l’interaction avec d’autres consommateurs. Pour la distribution traditionnelle, intégrer cette horizontalité, cette interaction, dans ses business models, n’est pas chose aisée, même si elle y travaille depuis plusieurs années. C’est beaucoup plus facile pour les pure players qui, eux, partent d’une page blanche.
Quelles menaces constituent les Gafa et autres pure players dans cette évolution ?
Cédric Ducrocq. L’intention d’Amazon est depuis longtemps de devenir courtier universel en offres, en référençant tous les produits du monde, qui seront accessibles avec une totale facilité grâce au « one click », à la livraison hyper rapide, souvent gratuite… La stratégie d’Amazon et des autres grands pure players est ainsi de devenir incontournables et de s’ériger comme le « péage » – le point de passage obligé – de toutes les interactions avec le client. On est aujourd’hui témoins de l’arrivée de grandes enseignes sur Amazon, ce qui est très paradoxal : un distributeur qui se fait référencer chez un autre distributeur ! Cela prouve bien qu’Amazon n’est plus seulement un distributeur, mais avant tout un noeud de trafic. Google vient de lancer en France une place de marché – Google Shopping –, qui ne référence pas des fabricants, mais de grandes enseignes… Ce phénomène est encore plus évident en Chine, où Alibaba et Tencent développent des écosystèmes complets qui adressent tous les moments de vie des clients.
A ce moment-là, que devient la raison d’être du point de vente physique ?
Cédric Ducrocq. D’un côté, on constate une tendance à la « commoditization » d’une partie du métier, vers laquelle le distributeur traditionnel est obligé d’évoluer. Et d’un autre, sa volonté de faire venir le consommateur dans le point de vente, et donc la nécessité de lui offrir des expériences nouvelles. Mon sentiment est que tous les distributeurs ne vont pas parvenir à résoudre cette équation et que certains magasins vont fermer. Il y a en France entre 20 à 30 % de mètres carrés de commerces en trop. Mais ce n’est pas mission impossible, c’est à cela que nous travaillons avec les enseignes : l’avenir est ouvert !
Biographie
Cédric Ducrocq est PDG et fondateur de Diamart Group, fédération d’entreprises consacrées
à la transformation du retail et des marques. Il accompagne depuis vingt-cinq ans les retailers dans leur adaptation au nouveau monde horizontal et digitalisé et dans l’accélération de leur transformation. Il est l’auteur de plusieurs livres qui font référence, membre du Board d’Ebeltoft Group (réseau de consultants en retail présent dans 25 pays), de la Commission des comptes commerciaux de la Nation…