Le défi du retail est aujourd’hui de savoir jongler entre une offre multicanal « obligatoire » et la nécessité de créer une expérience client nouvelle en point de vente, souligne Nicolas Pastorino, directeur des systèmes d’information du groupe Le Furet du Nord-Decitre.
Alliancy : Quels nouveaux usages bousculent le plus le retail ?
Nicolas Pastorino. Ils sont nombreux, mais c’est surtout le niveau d’exigence du consommateur sur la qualité du service, du conseil et de l’offre proposée, et sur son adéquation avec les besoins, qui pousse les enseignes à s’adapter.
La numérisation des points de vente est notre principal outil pour répondre aux enjeux de la vie quotidienne des consommateurs, qui ne peuvent ou ne veulent plus se déplacer systématiquement en magasin quand ils ont besoin de faire un achat. Ils souhaitent pouvoir commander depuis leur canapé ou via un terminal mobile dans leur « intimité électronique ».L’omnicanalisation des enseignes n’est pas une évolution nouvelle, mais elle ne s’arrête pas là, portée par l’évolution des terminaux et des technologies qu’on y embarque et par son caractère ubiquitaire qui permet l’évaluation instantanée d’une enseigne ou d’un produit.
Pourquoi cette exigence toujours accrue du consommateur ?
Nicolas Pastorino. Si l’exigence du client grandit en permanence, c’est qu’il arrive en magasin avec en tête un référentiel d’offres quasiment total. Sur le Web, cette offre est virtuellement illimitée. Elle présente une profondeur jamais imaginable voilà quarante ans, grâce aux marketplaces et aux moteurs de recherche qui prennent la main en partie sur le marketing des enseignes et des fabricants.
A quel degré le téléphone mobile participe-t-il à cette évolution ?
Nicolas Pastorino. Le téléphone mobile est l’outil ubiquitaire grâce auquel chacun dispose de toutes les informations qu’il souhaite dans sa poche et à n’importe quel moment, même dans une surface physique de vente où on peut consulter son Smartphone pour savoir si un produit est moins cher ailleurs, sur toute la planète… Du fait de la qualité et la vitesse de connexion aux réseaux, la puissance de calcul, la richesse fonctionnelle des systèmes d’exploitation, le téléphone mobile a bouleversé le commerce au sens large.
Quel intérêt alors pour le client d’aller en point de vente quand il peut commander en ligne, dans un catalogue illimité de produits aisément comparables ?
Nicolas Pastorino. Les points de vente physiques n’ont d’autre choix que d’accentuer leur différenciation et leur valeur ajoutée en créant une véritable expérience client démarquante dans les parcours autour de l’enseigne, sinon c’est pour eux la mort assurée. Dans notre cas précis, le rôle du libraire, qui est le conseiller au coeur du magasin, apparaît comme fondamental. Le libraire, qui dispose d’un savoir-faire unique, rédige par exemple des fiches avec ses commentaires sur les ouvrages en vente, et ceci aussi bien dans le magasin qu’en ligne. Il accompagne le client dans ses choix et permet une ultra-personnalisation en fonction des goûts et des envies de découverte du client, et pas uniquement des meilleures ventes. Quant aux consommateurs qui se déplacent dans les commerces, ils cherchent avant tout un échange, du liant, de l’humain, du conseil autour d’un produit, de la surprise. Beaucoup de nos clients ou prospects ne savent d’ailleurs pas vraiment quel livre ils souhaitent acheter. En ligne, c’est compliqué de les orienter alors qu’en point de vente, un échange se crée naturellement avec le libraire, qui emmène le futur lecteur se promener dans les allées, lui fait voir et toucher les produits. Nos libraires sont formés pour accompagner, aiguiller, questionner… Un échange expérientiel irreproductible en ligne et différenciant en magasin. Nous l’enrichissons en faisant davantage de présentations sur étagère avec du « facing » pour que les couvertures des livres les plus percutantes économiquement et culturellement soient bien visibles.
Que recherche le client en termes d’innovation ?
Nicolas Pastorino. Le consommateur évolue avec la société qui se numérise et, pour une enseigne, ne pas être omnicanal est considéré comme une « dette client ». C’est éliminatoire ! Nos clients, mais également nos vendeurs, nous demandent de numériser ou d’accélérer les digitalisations, et le parcours client omnicanal en est la première étape. Au Furet du Nord et chez Decitre, le « click-and-collect » existe depuis très longtemps et les enjeux des délais de livraison sont parfois très forts. Un client qui programme son parcours de courses peut vouloir retirer un livre dans telle librairie sous une heure, une fois sa réservation réalisée en ligne ou parfois sur son téléphone portable depuis un autre magasin. Le processus inverse est aussi vrai. Le client entre dans une surface de vente avec un besoin de conseil pour l’achat d’un livre. Si l’ouvrage choisi n’est pas en stock, on le lui commande et il est livré à son domicile. Ce sont des demandes très basiques, aujourd’hui rentrées dans les usages et également dans les discours de nos magasins.
Que regardez-vous aujourd’hui?
Nicolas Pastorino. Nous étudions la mise en place dans nos enseignes de l’encaissement par un vendeur en mobilité et de l’encaissement autonome, afin de désenclaver les caisses et d’offrir un parcours de courses rapide. Nous anticipons la demande car, pour le moment, ce n’est pas une « dette client », mais cette démarche s’intègre dans notre objectif de supprimer les points de friction en magasin, le numérique étant un outil pour y parvenir.
Biographie
Nicolas Pastorino est diplômé de l’Insa Lyon et de l’Insead. Après dix ans dans l’édition de logiciels, il intègre le monde du livre dans la start-up du livre numérique TEA (The Ebook Alternative), faisant partie du groupe Decitre. Il prend ensuite la direction de Decitre Interactive, branche digitale, IT et e-commerce du groupe, ainsi que la direction marketing et DSI du groupe. Depuis le rachat du groupe Decitre par le groupe Furet du Nord, il s’occupe de la DSI groupe et continue de diriger Decitre Interactive.